Dans ce livre, Max Jacob se dit “poltron”. Ce qui ne l’empêche pas - dans une période comparable à la nôtre où tout le monde spécule en affirmations discutables mais où “personne ne dit : “je mens” et où tout le monde se pare de la vérité, alors que dire “je mens” serait la seule chose vraie que l’on puisse dire de faire” - de présenter un série de mises au point qui, s’il avait été courageux, auraient été des “mises aux poings”.
Sa tentative reste néanmoins un exploit car comment “Faire l’essai de la justice quand l’univers ne pense qu’à la force ?” et qu’ “une bonne conscience porte toujours une arme à feu.” ?
Dès lors, l”auteur garde sur lui un revolver modèle 1905, preuve que la raison et la logique restent les mêmes pour les temps ordinaires que celles de guerre — et même si ce texte témoigne de l’amitié entre l’auteur et Picasso .
Max Jacob rencontre le peintre en 1901 à Paris. Naît une fraternité qui fait de l’écrivain le témoin quasi quotidien du travail de Picasso. Et si, vingt ans plus tard, les liens sont plus lâches, ils ne seront jamais vraiment défaits.
Certes, il existe parfois une jalousie à l’égard du peintre. Mais c’est toujours Picasso que l’écrivain désigne comme son héros (aux côtés d’Apollinaire ou Salmon) lorsqu’il doit écrire sur l’époque de la rue Ravignan.
A la mort du marchand Paul Guillaume, sa veuve demande à Jacob une préface au volume des mémoires de son mari. Le projet deviendra un récit autobiographique fondamental sur le cubisme : La chronique des temps héroïques. À la manière d’un journal, Max Jacob y livre ses souvenirs sur la période 1910–1930. écrits en 1935–1936. Le livre évoque les futuristes, les surréalistes, le lapin Agile, Apollinaire, Picasso et bien sûr le marchand des arts primitifs.
Quoiqu’il se soit toujours refusé à écrire des Mémoires, il ne dérogea à cette règle que pour ce témoignage. « Je ne suis pas historien. Je ne suis commère que pour me distraire, je cherche avec vous les grandes lignes d’une époque. Je ne parle que de ce que j’ai vu, senti, vécu, parce que je suis poète et les poètes ne parlent que de ce qu’ils sentent. ».
C’est en 1956 que Louis Broder en fera une édition limitée, avec des eaux-fortes de Picasso, d’après un manuscrit complet des huit chapitres que Fata Morgana réédite. Ce livre permet de préciser les mystères du cubisme.
Il rappelle ce qu’il est devenu dans son évidence mais qui ne l’était en rien à l’époque.
jean-paul gavard-perret
Max Jacob, Chronique des temps héroïques, Illustrations de Pablo Picasso, Fata Morgana, Fonfroide leHaut, 2020, 144 p. — 23,00 €.