Les puzzles de Claude Simon
Claude Simon reste l’un des rares explorateurs des limites. De la fiction surgit la sortie de la clôture de bien des illusions. La densité de la quête déborde la révélation d’un prétendu secret. L’auteur ne cherche pas à faire entrer dans une histoire mais dans l’Histoire et sa complexité. Chaque roman devient le moyen d’en extraire le feu (et non les cendres) au moment où le langage ne se contente plus de raconter de manière linéaire et chronologique. Arachnéenne et en réseaux, d’« Histoire » aux « Corps conducteurs », l’écriture ouvre à un écho inconnu du réel. Le lecteur se retrouve face à l’œuvre de Simon comme face à celle de Proust : il est certes devant le secret mais le langage se méfie de l’effet d’évidence rapportée.
Tentant l’approche des instants révolus, mais ne cherchant jamais la ressemblance, l’auteur entraîne du côté du commencement et de la re-naissance. Dès lors le secret tombe de lui-même. C’est pourquoi il n’existe plus de récit à proprement parler : en lui, toutes les choses sembleraient dites — or cela ne se passe jamais ainsi. D’où les failles, les cassures, les morceaux que chaque fiction charpente.
L’auteur redéfinit en conséquence le romanesque. Il ne ressemble en rien au réalisme hérité de la grande tradition du XIXème siècle. L’écriture n’est plus « couchée » fixement : elle joue sur la page en ses passages clandestins, ses allées souterraines et ses puzzles.C’est sans doute pourquoi, en dépit de son prix Nobel, Simon reste aujourd’hui encore un écrivain réputé difficile voire obscur. Il suffit pourtant d’un peu de courage pour affronter un récit qui ne peut progresser que par enfouissement, abandon, disparition des apparences afin de faire surgir d’autres résurgences, d’autres nappes phréatiques du vivant. Face aux suites de berceuses que bon an mal an la « création » (sic) romanesque distille, Simon aura inventé sa la longue âpre et douce rumination mélodique. Son expérience reste sidérante. Grâce à lui, la fiction à un bel avenir à condition que le seul secret de cette dernière tienne à sa langue.
jean-paul gavard-perret
Claude Simon, Œuvres , tome II, édition d’Alastair B. Duncan, collection Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1712 p. - 66, 50 euros.