Devenir esclave dans notre pays à notre époque…
Peut-on encore, au XXIe siècle, en France, disparaître du regard de la société, vivre une existence, plutôt une non-existence d’esclave qui donne un avant-goût de l’enfer ?
Théo vient de purger dix-neuf mois d’emprisonnement pour avoir frappé son frère qui, dans sa chute, s’est brisé les cervicales. Il est totalement paralysé. Théo l’a frappé parce qu’il a couché avec Lil, sa femme. En sortant, par pure vengeance, il rend visite à son frère, pour constater son état de « légume », lui le chirurgien talentueux promis à un bel avenir. Théo lui crie sa haine quand une infirmière surgit qui déclenche une alarme. Il s’enfuit car il est interdit de périmètre et a trop peur de retrouver la prison et sa violence. Pour se faire oublier, Théo se retire dans une zone déserte. Il prend une chambre dans un gîte tenu par Mme Mignon et retrouve l’envie de marcher, de faire de longues balades. C’est Mme Mignon qui lui indique un point panoramique ignoré du monde. Sur place, après avoir emprunté un sentier dissimulé, il arrive près d’une maison. Un vieillard, d’abord méfiant, l’invite à prendre une tasse de café. Un coup sur la tête et il reprend conscience dans une cave, enchaîné à un mur. C’est l’incompréhension.
Une voix le ramène à la réalité. Il s’agit de Luc qui, depuis huit ans est l’esclave de deux vieux, Joshua et Basile, le plus dangereux. Théo refuse cette réalité. Mais, l’absence de nourriture et surtout d’eau, l’amène à céder. Il a été capturé parce que Luc s’est brisé le tibia et que les deux tortionnaires ont besoin d’un remplaçant. Ils lui ont fait creuser une fosse à côté de la planche qui lui sert de lit. Théo se jure de se sauver malgré une chaîne aux pieds, et la vigilance de ses geôliers qui ne se relâchent pas. Il pense que sa disparition va inquiéter et que des recherches vont être entreprises, jusqu’à ce qu’il apprenne que Mme Mignon est la sœur complice des deux monstres…
Sandrine Collette place son récit dans une zone de moyenne montagne, un lieu peu prisé des touristes. Elle choisit un héros qui, par les circonstances, se trouve momentanément isolé et l’entraîne dans une lutte pour la survie. Elle décrit fort bien l’état d’esprit de son personnage, les différentes phases par lesquelles il passe. D’abord l’incrédulité, l’incompréhension, le refus, le déni, la révolte. Puis, face aux privations, une soumission de circonstance, l’attente d’un moment favorable. L’accablement quand il comprend qu’il ne recevra aucune aide extérieure. Enfin, la résignation, l’acceptation, pour arriver au syndrome de Stockholm avec l’attachement à ses bourreaux, la recherche de leur satisfaction, de leur reconnaissance. Ces différentes étapes sont ponctuées de phases de rébellion avec la volonté de s’en sortir. L’auteur retrace les brimades, les humiliations que subit Théo pour l’amener à se soumettre.
Sandrine Collette a mené un travail frappant sur l’état d’esprit de ses personnages, sur les variations de leur caractère, de leur personnalité. Elle ne manque pas de développer de ces arguments spécieux, si fréquents, qui font endosser, rejeter la responsabilité, la faute, sur d’autres comme : “Si ce connard avait été en bonne santé, sans doute que les vieux n’auraient pas fait attention à moi dix jours auparavant…” Mais, elle illustre brillamment l’attachement viscéral à l’existence, l’instinct de vie, de survie qui repousse les limites, qui encourage à accepter des conditions de pire en pire, malgré les souffrances. Elle choisit, pour raconter l’histoire de Théo, la forme d’un journal présenté et mis en forme par un médecin qui connait bien le héros depuis la fin de son aventure.
Un livre remarquable tant par son sujet que par son traitement. Avec un sujet que l’on pourrait croire anecdotique mais qui se révèle, en suivant l’actualité, pas si rarissime que cela, hélas !, elle construit une intrigue habillement menée qui tient en haleine jusqu’à son terme. Mais Sandrine Collette ne place-t-elle pas, avec ce premier livre, la barre un peu trop haut ? Pourra-t-elle, pour le second roman, faire au moins aussi bien ? On ne peut que le souhaiter car elle révèle un fort potentiel de romancière. Le choix de ce roman est judicieux pour le redémarrage d’une collection mythique qui a accueilli le “gratin” de la littérature policière de la seconde moitié du XXe siècle.
serge perraud
Sandrine Collette, Des nœuds d’acier, Denoël, coll. Sueurs froides, décembre 2012, 272 p. – 17,00 €.
Je suis plongée dans la lecture de ce livre palpitant et vraiment bien écrit.
Il m’intéresserait de savoir si l’histoire est vraie et si elle a été relatée dans les médias.
Merci
Ce livre est un chef d’oeuvre au sens premier du terme, il condamne tout second roman
Bonjour !
Avez-vous lu “La Vérité sur Frankie” de Tina Uebel chez Ombres Noires?
Je vous conseille vivement ce livre, là aussi il s’agit d’enfermement et de manipulation psychologique. Mais les victimes sont au nombre de trois, le méchant est seul, le tout se déroule sur 10 ans et….. est tiré d’un fait divers. Glaçant, l’auteure s’est attaché à comprendre ce qui se passe dans la tête des victimes. A la fin du livre, vous vous poserez une seule question : est-ce que cela pourrait m’arriver ?
Et belle écriture de surcroît.
Cordialement.
Nelly