Les noeuds noir corbeau des mots
Dans L’arche nuit l’imaginaire ne contribue plus à l’élaboration de possibles mais ne cherche pas plus à dissimuler quoi que ce soit. Il déploie encore une énergie capitale et paradoxale.
Par elle, toutes les forces de refoulement, les forces de résistance et d’envasement cernent l’être.
Certes, l’opus devient celui d’un dessèchement mais par débordement. Au fleuve Amour fait place celui de la dissolution, de la décoloration d’un sens univoque, absolu et qui est généralement celui de la commodité de la conversation littéraire voire poétique.
L’auteur touche à un imaginaire non qui renonce à toute sensation mais se retranche de l’expérience affective ou la vide d’un maximum de substance.
C’est une expérience novatrice. Elle perturbe la balance du sensible et de l’Imaginaire en un processus qui fait masse plus que sens. Ferdinande a besoin d’un tel rempart pour saisir peu à peu l’appauvrissement de tout.
A travers cette “arche-iv®e”, ses coups au coeur n’on plus rien d’incurables même si, lorsqu’il tente encore de les écrire, tout n’est que fumée lourde d’un passé lointain.
Des (brèves?) sensations de bien-être et l’énergie que donne la psychologie dans toute fiction ou autofiction s’estompent. Le “vouleur” de phrases se sent de moins en moins apte à l’existence. Mais reste les noeuds noir corbeau des mots.
S’y trouvent — pour le lecteur aussi — des plaisirs et non de moindre satisfaction même si le propos premier n’est pas la signifiance.
De “la stupéfiante étrangeté de la vie”, Ferdinande ne retient que l’envie de s’en affranchir. Et là en un acte premier, inouï et nocturne comme l’adjectif du titre invite à le penser.
Le tout sans cible au sensible et sans chair où le sang sonnait.
Néanmoins, tout fonctionne, comme si l’impuissance de vivre en dehors de cette fin de scène et de partie pouvait suffire. Ferdinande sait bien que tout semble inutile.
Rien qu’il sache ne peut résister à la mort mais l’arche est toutefois une manière de sauver sinon les meubles du moins l’immobilier.
jean-paul gavard-perret
Denis Ferdinande, L’arche nuit, Atelier de l’Agneau, coll. Architextes, 2020, 150 p. — 18,00 €.