Pour Badiou, le parti communiste aura été la demeure du possible de la passion d’Aragon. Le P.C. remplace l’amour en un déplacement que le philosophe distille sans le moindre doute.
Il y a là un vampirisme de celui qui verrouille Aragon dans le parti et le parti dans l’amour en des démonstrations plus ou moins douteuses par leurs raccourcis.
L’essayiste va à fond dans son propre lyrisme analytique qui renoue avec les idées universitaires des années 70. L’éloge illimité comme la résignation de l’amour (“coucher ensemble pendant des années”) convergent dans les faux-semblants où Badiou fait avaler bien des couleuvres au sein d’une approche aussi nonchalante que discutable de son sujet.
L’essai veut transformer l’Aragon “misérable et provocateur” des premiers poèmes en un héros sous prétexte que le poète trouvera plus tard une brèche chez de nombreux chanteurs jadis populaires et parfois populistes…
Les a priori font florès. Et les effets rhétoriques ne sont là que pour une apologie partisane où, sous couvert d’un chant, advient un chantage singulier de l’amour de la politique et de la politique de l’amour. Badiou instaure par ce biais ce que produit le communisme mais non l’amour : l’ascension sans la chute. Voire…
Elsa certes vaut donc une chanson. Elle devient l’admiration mystique qui agrandit la lumière avant de devenir ce que l’auteur nomme “l’enchanteresse catastrophe”.
Plus que les yeux d’Elsa et face aux fomenteurs de la dégringolade mondiale, Badiou parie a sur le Parti. Car la femme ne sera pas ce qu’il nomme “la loi sereine”.
Le philosophe cultive donc les vieux réflexes machistes idéologiques plus staliniens que marxistes.
Au moment où la civilisation mondiale change sa donne, se distingue facilement où le philosophe veut nous emmener jusqu’à nous placer sur certains bûchers sacrificiels pour peu qu’on ne partage pas sa foi. Existe donc dans cet essai une fable générale historico-politique au nom d’une prétendue poétique.
Badiou voit en Aragon un “écrivain total” et “trouble-fête” plus que l’homme de pouvoir et ses fabulations sur lequel l’adorateur et “frère” fait l’impasse.
Mais il est vrai qu’Aragon se prête mieux aux vues du penseur que Beckett sur lequel il se cassa les dents et qu’il détourna de peur d’avoir à remiser ses certitudes.
Il le remplaça par “Le fou d’Elsa” n’ayant plus rien à espérer d’ “Oh les beaux jours” qui — eux - ne sont en rien des lendemains qui chantent.
jean-paul gavard-perret
Alain Badiou, Radar poésie– Essai sur Aragon, Gallimard, collection Blanche, 2020 — 9, 00 €.