Philippe Vasset propose des thèmes atypiques, des sujets peu communs, voire déconcertants dans ses livres. Avec La légende il ne déroge pas à sa règle puisqu’il se lance, par personnages interposés, dans l’étude et l’écriture de la vie des saints, à sa manière bien particulière. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la vie des saints était le genre littéraire majeur. Écrits par des laïcs ou des religieux, ces vies ne concernaient que des morts.
Pour reconstituer ce qui faisait matière à béatitude, les écrivains se fondaient sur ce qu’ils pouvaient, au mieux des témoignages, des faits, sinon des légendes ou des inventions, mais toujours sans enquête ni vérification. C’est cette méthode que ll’auteur applique pour son livre. Si les figures sont bien réelles, elles ont été traitées comme des personnages de mythes. Les écrits les concernant ont été réalisés à partir de pièces diverses et variées, très variées.
C’est lors d’un séjour à la Villa Médicis, entre 2014 et 2015, que La légende a été rédigée. Vasset est proche du Vatican et découvre : “Le plus grand studio de fiction au monde.” avec cette administration où des hommes construisent des vies de saints. Le récit débute avec le narrateur qui joue les guides, pour les congrégations étrangères, autour du Vatican depuis qu’il a été condamné et défroqué. Pourtant, il a été pendant vingt ans fonctionnaire de la Congrégation pour la cause des saints.
Il avait pour mission l’instruction des requêtes en béatification. Il vit mal cette situation, perdu dans cette vie nouvelle, sans repères.
C’est la rencontre avec Laure, dans les couloirs de la Congrégation qui l’a entrainé dans une évolution irréversible. C’est elle qui l’a amené aux écrits de l’abbé Joseph-Antoine Boullan et d’Adèle Chevalier, une fausse nonne qui prétendait converser avec la Vierge. Ce prêtre renégat, excommunié pour satanisme, inspira Joris-Karl Huysmans pour son roman Là-bas.
Philippe Vasset intègre ce personnage sulfureux en donnant les grandes étapes de son parcours comme la création de ce couvent, L’Œuvre de la Réparation, où il se livra aux pires déviations et les divers écrits où il énonçait ses théories. C’est la fréquentation des écrits de Boullan qui libère la parole et la personnalité du narrateur, le précipitant dans l’infamie.
Le romancier donne une liste impressionnante de saintes et de saints, présente des personnages hauts en couleurs comme ce graffeur qui s’en prend aux rames de métro. Il raconte la vie d’individus d’aujourd’hui qui, selon lui, mérite tout à fait la béatitude. Il raconte avec humour le travail de “l’usine à auréoles” qui produit du saint à la chaîne. Sous le dernier pontificat, celui de Jean-Paul II, il y eut 482 glorifiés.
Il évoque le rôle du saint, sa fonction, sa raison d’être. Il regrette les bienheureux de légende : “Où sont les stigmatisés, les multi-suppliciés et la belle troupe des délirants ?” Actuellement pour l’Église : “La sainteté est devenue une décoration pour service rendus, un ruban accroché aux aubes les plus méritantes.”
L’auteur raconte dans une rubrique sources et méthode, les difficultés qu’il a rencontrées pendant les huit mois de tractations, face au Vatican, pour prendre connaissance des cahiers manuscrits de Boullan et Chevalier, la Curie inventant mille prétextes fallacieux. Philippe Vasset ouvre, avec beaucoup d’humour, de malice, mais avec de beaux accents de vérité, un univers fascinant.
La légende se révèle un ouvrage passionnant, documenté, érudit, levant un voile sur une activité bien peu connue.
serge perraud
Philippe Vasset, La légende, J’Ai Lu n° 12232, octobre 2020, 224 p. – 7,20 €.