Ruhaud tisse et détisse sans cesse un grand tapis grouillant sous la mousse de ses “contes” animaliers. Dans ce tapis : un motif — comme dans la célèbre nouvelle d’Henry James. Et, comme lui, il y combine l’amusement et le mystère, conduit à s’interroger sur l’essence de la littérature et l’existence de son motif secret. Celle qui constitue la trame de son écriture revient comme un leitmotiv, de texte en texte : la bête.
Et par elle, au passé qui n’est fait que d’illusions, l’écriture donne un avenir monstrueux. C’est un futur antérieur, vivant. C’est un retour frictionnel qui apprend une vérité et crée une histoire qui n’aurait pas pu exister. De même qu’il faut deux temps pour créer un traumatisme, il en faut aussi deux pour le résoudre et c’est ce que l’écriture propose.
En ce moment, la pandémie et les désordres du monde nous font redouter le totalitarisme toujours prêt à surgir, la liberté et l’épique drolatique se disputent la vedette, laissant planer la peur mais juste ce qu’il faut.
Etienne Ruhaud, Animaux, Editions Unicité, Saint-Chéron, 2020, 50 p. — 12,00 €.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Soit les nécessités professionnelles, soit le désir de lire, d’écrire, ou tout simplement de me promener en ville.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’en ai accompli une partie en voyageant, et plus encore en publiant des livres.
A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai brièvement songé à devenir réalisateur, puis j’ai compris que la chose serait très compliquée.
D’où venez-vous ?
Je suis né à Rennes mais n’ai pas d’origine bretonne. Mon père, un ancien éducateur spécialisé, y avait été muté. J’ai essentiellement grandi à La Rochelle. Ensuite, j’ai un peu voyagé en France. Je vis à Paris depuis plus de dix ans.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le goût des livres et de la culture, essentiellement, ce qui n’est pas négligeable.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Boire un bon verre de vin.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres poètes ?
Peut-être mon approche animalière, puisque j’écris des bestiaires, et mon goût pour les surréalistes complètement oubliés.
Comment définiriez-vous votre approche de la faune et de la flore ?
J’aime énormément les animaux, même si je place l’homme au-dessus, du fait qu’il ait une conscience. Je fréquente les zoos et regarde les émissions animalières. J’aime aussi me retrouver en forêt, bien que je ne connaisse pas le nom des arbres ou des plantes.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Je n’en n’ai pas vraiment souvenir. En matière de peinture, j’ai tout de suite été séduit par Arcimboldo, Dali, Jérôme Bosch et René Magritte.
Et votre première lecture ?
Là aussi c’est compliqué. Il devait s’agir d’une collection verte. Jeune, j’ai été très marqué par une histoire de pirates dont j’ai oublié le nom, puis par les romans de Jack London.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’écoute beaucoup de classique (avec un faible pour Debussy ou Schubert), mais aussi du métal, de l’électro, et un peu de chanson française.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Les fleurs du mal” et “Extension du domaine de la lutte” de Michel Houellebecq. Entre autres.
Quel film vous fait pleurer ?
“Œdipe-roi” de Pasolini.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme en léger surpoids, myope, relativement grand.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À un amour de jeunesse, car je craignais sa réaction.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Nouvelle-Orléans et Moscou. Je n’y suis jamais allé.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Il y en aurait beaucoup. J’ai été très marqué par les romantiques français, dont Gérard de Nerval, mais aussi par les surréalistes, ou assimilés, comme Artaud, Michaux. Je ne sais pas si je suis proche d’eux. En matière de roman contemporain, j’apprécie beaucoup d’auteurs. Je ne crois absolument pas à l’idée selon laquelle il n’y aurait plus rien. Je peux vous citer entre autres Michel Houellebecq, Thierry Jonquet, ou encore François Bon.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une bague en or, avec un diamant. Mais c’est très cher !
Que défendez-vous ?
Le droit à une liberté d’expression totale, quelles qu’en soient les conséquences. Cela existe aux États-Unis.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je ne crois pas tellement aux théories lacaniennes, mais cette phrase est fort belle. Bien qu’un peu péremptoire.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
« Si vous avez compris quelque chose à ce que je viens de dire, c’est que je me suis mal exprimé » (Jean-Luc Godard).
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Si je crois au livre numérique et aux nouvelles technologies dans le domaine littéraire. La réponse est oui !
Présentation et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret, le 19 novembre 2020.
Une interview qui se lit avec délices.
J’avais donc encore des choses (simples) à apprendre sur toi, Etienne, après 3 ans d’amitié…:-)
A suivre, donc.