Des abîmes qui sont parfois des cimes
Michel Thévoz propose dans son essai une analyse pertinente sur un double encadrement. Celui, matériel, du liseré qui délimite une œuvre et celui — plus mental — de l’artiste dit “fou” qui, dégagé de ses maux pour un temps, projette sa psyché.
Le temps est révolu où le musée de L’art Brut de Lausanne qui recueille ces oeuvres était visité comme un zoo. Thévoz est de ceux qui l’ont fait vivre à la suite de Jean Dubuffet qui définissait comme “indemnes de culture” ceux qui osaient inconsciemment une liberté que les artistes “normaux” ne se permettent pas.
Nul cadre chez des artistes qui se soucient si peu d’enfermer leurs oeuvres au sein d’une frontière. L’auteur ramène à ceux qui, dans leur délire schizophrénique, se prirent parfois pour des dictateurs, des prophètes ou s’en remettaient à des inspirateurs surnaturels. Dès lors, leur expression ne connaît pas de règles. Des fenêtres s’ouvrent non sur ce qu’on prend pour le réel mais sur des abîmes qui sont parfois des cimes.
Poussant plus loin son analyse, Thévoz propose une typologie des encadrements bourgeois. Ceux-ci témoignent parfois de la volonté d’emprisonner des oeuvres souvent subversives en des cages dorées qui réduit le créateur au rang décorateur.
Néanmoins, le livre est une nouvelle version de la défense de l’Art Brut. Thévoz rappelle qu’il contient des chefs-d’œuvre (et les reproductions présentes le prouvent).
Il combat pour sa reconnaissance même si la signature des grands maîtres garde encore plus de valeur que leurs oeuvres elles-mêmes comme celles des “irréguliers” ou des “irrécupérables” de l’art.
jean-paul gavard-perret
Michel Thévoz, Pathologie du cadre — Quand l’Art Brut s’éclate, Editions de Minuit, coll. Paradoxe, 2020, 160 p. — 18,00 €.