Portrait poétique d’un étrange duo
Les éditions Møtus ne taisent pas leurs mots. En quinze ans et quatre-vingts titres, cette maison n’a cessé de surprendre par l’éclectisme de ses choix et par une propension à n’en faire qu’à son cœur : livres objets, poèmes affiches, mouchoirs de poches, recueils inclassables…
Discrète pourtant car j’ai découvert son existence presque par hasard en chroniquant dans ces pages un ouvrage de François David (On n’aime pas les chats), l’heureux marchand d’allusions de cette malle des Indes. Comment ai-je pu la manquer en courant les salons livresques et les marchés poétiques ou au hasard des étals ?
Entre les mains, les dernières parutions. Laquelle mettre en avant ? Les deux nouveaux-nés de la collection “Mouchoir de poches”, livres bonzaï sur fond noir qui font remonter des souvenirs de cartes à gratter ? Le dernier album de François David, Ma bien-aimée, une balade poétique en photos ? Finalement, j’ai choisi de retomber en enfance en présentant Grand-mère arrose la lune, première réalisation de Jean (à la plume) et Anastassia (au crayon) Elias.
Sur la couverture à dominante bleue, une main verse du lait dans une tasse de café ou de chocolat. En bas à droite, Møtus s’inscrit dans une assiette de petits-beurre. Puis le livre s’ouvre sur des pages grises en papier recyclé qui attirent instinctivement la caresse de la main. La première illustration représente Grand-mère, la grand-mère à chignon, ronde de partout, qu’on a tous quelque part, ne serait-ce que dans le livre de contes de notre imaginaire. Elle boit le contenu de la tasse… Mais hélas, ce portrait poétique résiste à tout résumé. Grand-mère et la lune, c’est une histoire d’intimité, l’une n’existant pas sans l’autre ; la lune s’échappe, se cache, se salit ? Grand-mère la débusque, l’enferme, la lave pour que soient propres les rêves. Elles sont et resteront inséparables… jusqu’à la fin.
L’émotion traverse les mots, l’humour et la surprise surgissent des illustrations. Tout contribue à faire de ce livre un nid à rêves à lire à voix basse.
Ma grand-mère
a perdu ses dents dans la guerre
Sa bouche est une grotte de brigands
où se réfugie la lune
En hiver
ma grand-mère se tait
pour que la lune ne tombe pas
de sa bouche
et se brise
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patricia chatel
Jean Elias (texte) & Anastassia Elias (illustrations), Grand-mère arrose la lune, éditions Møtus coll. “Pommes Pirates Papillons”, mai 2006, 56 p. (sur papier recyclé) — 10,00 €.