Hélène Cixous, Ruines bien rangées

Face aux saccages

Se concen­trant sur un lieu et ses pavés qui furent mar­te­lés par les boucs émis­saires d’une haine ordi­naire, Hélène Cixous embrasse plu­sieurs siècles à la fois (le nôtre com­pris).
Dans son obses­sion du temps, l’auteure appelle à la vie, là où sont ses morts au moment où son livre se mesure au pré­sent en une mul­ti­chro­ni­cité : l’écriture parle plu­sieurs siècles pour faire jaillir des taches aveugles des noyés, brû­lés, exter­mi­nés qui hurlent encore leur détresse.

La créa­trice s’engage dans le vivant — via le passé — pour l’ouvrir. Elle sait que la haine n’est pas un pos­sible mais un ferment de guerre, un refus de la créa­tion de l’autre, une reven­di­ca­tion éli­mi­na­trice qui témoigne d’une toute puis­sance mas­cu­line.
Elle prouve que la haine est nar­cis­sique : celle-ci s’attaque à tout ce qui est la vie parce qu’elle s’en croit pri­vée. C’est la preuve que, depuis la nuit des temps, elle demeure une consom­ma­trice jalouse.

Face aux sac­cages, Hélène Cixous invente — par la dimen­sion poé­tique de sa parole et contre la mort qui est don­née — une chro­nique exhaus­tive d’un fami­lier aussi loin­tain que proche.
Der­rière la gla­cia­tion du lieu qui se fos­si­lise en une cer­taine beauté tou­ris­tique, l’auteure incarne le sta­tut plus “pri­mi­tif” d’une ville où se concen­traient toutes les contra­dic­tions et toxi­ci­tés du monde.

Un tel récit devient une manière de lut­ter pour une ouver­ture aux alté­ri­tés bien. Et ce, bien au-delà de ce à quoi on vou­lut réduire la créa­trice en la fai­sant la dépo­si­taire de “l’écriture fémi­nine”. Il existe certes chez elle une com­bat contre le “phal­lo­go­cen­trisme”. Mais celle qui reste une des pion­nières des études de genre conti­nue par son superbe récit de por­ter regard et fer contre le racisme, l’antisémitisme et la misogynie.

Du sou­pir à une ample sym­pho­nie tra­gique du monde et de l’intime, Hélène Cixous tente de recoudre les bles­sures qui, mal­gré tout, suintent encore d’autant qu’elles ne sont pas par­ti­cu­lières mais géné­rales.
L’ odeur humaine est là et l’auteure en appelle à une nou­velle ver­sion du monde.

feuille­ter le livre

jean-paul gavard-perret

Hélène Cixous, Gal­li­mard, Ruines bien ran­gées, coll. Blanche, Paris, 2020, 160 p. — 15,00 €.

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>