Belinda Cannone pense mal mais écrit bien. Dans ses nouvelles (entre autres), elle prouve que Dieu (ou quelqu’un d’autre) ne donne pas aux chèvres le goût des fruits de l’arganier. Et les femmes ne sont pas réduites à recracher les noyaux que les hommes leur font presser pour extraire une huile précieuse avant de fumer une cigarette.
L’auteure crée ainsi bien des décalages avec l’habituelle gestion des fictions.
Avec La Pisseuse, la créatrice impertinente et profonde propose un road movie via le passage de la frontière franco-espagnole à côté de Youssef petit-fils d’un soufi qui, dit-il, “a mal tourné, enfin qui tournait sur place dans sa danse mystique, au lieu que lui, Youssef, suit les révolutions de la planète dont le centre est fixé à Marseille et dont la périphérie passe par la Libye, l’ex-Yougoslavie, Bruxelles, Venise, et Marrakech.
Le héros fait le voyage vers le Maroc en voiture en compagnie de Boris. La voiture est bourrée d’ustensiles pour ceux qui sont restés au bled. Le voyage est des plus classiques. Il sombre dans la banalité avant que Youssef ne distingue une femme aux cheveux blonds “comme ces filles de l’Est qu’on voit de plus en plus derrière le cours Belzunce.“
Elle est accroupie près d’une voiture, jupe baissée pour uriner. Elle le regarde dans les yeux. Mais les deux restent immobiles : “Elle ne pissait plus mais restait accroupie dans le soleil, sans que je comprenne si elle voulait prolonger l’offrande de cette vision ou si elle avait oublié sa posture”.
Et soudain, pour le héros, la vie s’est arrêtée. Du moins dans un moment de latence. Qu’importe alors la flicaille – comme disait la Zazie de Queneau – qui après tout ne fait que son boulot. Et Boris de demander au conducteur : “Comment, tu ne descends pas pour une vision du Paradis ?”.
Mais — traumatisé par la perte de sa fiancée dans l’un des premiers bombardements de Mostar – que peut-il répondre ? D’autant qu’il vient d’un pays qui n’existe plus. Il aime passer les frontières et c’est tout.
Quant à la fille, il l’a espérée encore un peu, aurait voulut voir la couleur de ses yeux et savoir si elle avait voulu partir avec lui.
Un temps il se fait un cinéma mental. Puis la vie continue. Il n’y aura pas de femme blonde. Mais le vide.
Et dans le genre c’est bien. Voire plus.
jean-paul gavard-perret
Belinda Cannone, La Pisseuse, éditions Ardemment, 2020.
Bonjour,
Merci à vous pour ce retour plutôt favorable à ardemment éditions (sans majuscule), toute jeune maison d’édition, ardente comme il se doit.
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