Le bestiaire que propose Ruhaud n’a rien de zoologique. Mais l’auteur ne se contente pas d’exhiber des créatures étranges, son écriture les majore en une sorte de poétique de l’anamorphose scrofuleuse.
Krugs, Krapts, Kats, Kabutos — et ce ne sont pas les seuls — deviennent les médiums que l’écriture elle-même hallucine comme elle donne aux cèpes une dimension gigantesque de “vastes galettes spongieuses” de plusieurs mètres de circonférence. Il y a là de quoi mettre la pétoche à ceux qui vivent près de tels monstres comme à ceux qui les découvrent ici.
Certains pourtant arrivent à s’amuser des “diques” : “grandes huîtres de vase extraplates, impeccablement rondes”. Ils les placent — après avoir peint leur coquille - sur un pick-up où elles produisent des grondements sourds.
Tout finit — forcément — avec le bal de vampires, eux-aussi d’envergure démesurée. Si bien que tout est fait pour acérer nos cauchemars même si les indigènes mangent la chair de ces monstres car elle a le goût subtile de faisans rôtis à la broche et que leurs crocs peuvent servir de flèches ou de cure-dents.
N’étant plus de mauvais ou de bons sauvages, ils ne nous reste qu’à nous perdre dans une telle ménagerie de verres grossissants.
D’autant que la connaissance du pire qui accompagne une telle vision (informée ou déformée) ne se prive pas d’une certaine allégresse.
L’écriture s’inscrit dans un courant tragico-jubilatoire où le savoir du monde semble venir de l’immonde en phases d’excès mais qui ne répudient pas à donner du sens.
Existe la parfaite inadéquation entre la faune et la flore — telles que nous les voyons ou les imaginons — et le dévoilement que Ruhaud propose en son plaisir de tirer la langue à la dévotion portée à ce que nous connaissons.
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jean-paul gavard-perret
Etienne Ruhaud, Animaux, Editions Unicité, Saint-Chéron, 2020, 50 p. — 12,00 €.