lelitteraire.com propose de manière inédite à ses lecteurs ayant apprécié les billets “en marge” de Didier Ayres de découvrir chaque semaine une partie de son oeuvre théâtrale, H.P (Scènes de désespoir et de miracles)
avant-propos de l’auteur :
H.P. porte un regard sur l’institution psychiatrique. En 12 scènes on y retrouve l’essentiel des vrais moments d’un asile, des séquences véridiques de ce lieu de surveillance : les infirmiers, les patients, les thérapeutes, les familles, l’heure du thé dans l’après-midi, la nuit avec ou sans sommeil, la contention, les conversations entre les asilaires, etc. Ce qui ressort de cette plongée en milieu hospitalier, c’est la souffrance de tous et de chacun, douleur qui s’exprime soit par l’angoisse, soit par le rire.
C’est ce destin d’une communauté de vivants — comparables à des détenus — qui m’a poussé à imaginer cette pièce. La tension dramatique, tension d’êtres humains bousculés comme en une nef des fous, pour moi a fait théâtre (plus à mes yeux que la célébration d’un office religieux). Ce qui est sacré ici, c’est cette focale sur le fond de l’être. Ainsi, « le monde est un théâtre ».
didier ayres
lire la scène 5
Scène 6 :
L’après-midi, on s’ennuie. Je traîne. Je marche. Seulement marcher.
Tu vas bien ?
Je ne sais pas. Le médecin dit que j’ai encore des séquelles, qu’il faut d’autres ECT.
Tu vas mal ?
Non. C’est juste : « fermez les yeux, ouvrez les yeux. » On m’étend, on m’anesthésie et puis c’est la décharge électrique.
Ta sœur est venue, et tu n’as pas voulu la voir. Tu sais, elle avait fait beaucoup de chemin, car après les sept stations il y a vingt-cinq minutes à pied, et ici, c’est dur. Tu as mangé mes oranges de la semaine dernière ?
Dehors, il fait froid. C’est toujours froid ici.
Tu n’aimes pas la Suisse ?
Non.
Qu’est-ce que c’est ?
Je ne sais pas. J’ai mal là.
Et ta radio ?
Je capte que la RTS.
Et ta grand-mère ?
Elle va avoir soixante-dix-sept ans.
Donc, tu te souviens ?
Pourquoi ?
Parce qu’ils disent que les électrochocs cela abîme ta mémoire.
J’ai lu La petite fadette. Et puis, j’ai eu soif, j’ai eu faim. Tu sais j’ai regretté pour ma sœur, tout ce voyage, cette marche en montagne.
Elle est venue pour ton anniversaire.
C’est triste.
Tu es malade, tu sais.
Je sais.
Elle a dit quelque chose.
Non, elle a juste pleuré.
Elle reviendra ?
Je ne sais pas.
C’est elle qui appelé le médecin qui m’a enfermé ici. Et j’ai trouvé que c’était injuste, que c’était à cause d’elle.
Il faut pardonner.