Rare privilège de l’âge, l’auteur de ces lignes a lu “en live” le bloc-notes de Mauriac dans le Figaro Littéraire des années 60. Il retrouve cet immense corpus où le polémiste évoquait l’actualité politique mais aussi ses lectures et ce qu’il voyait au fil du temps — et même à la télévision - en réagissant en parfaite liberté et en zig-zag permanent mais avec une logique où toutes les réactions de l’auteur passent par la foi en Dieu.
Prosateur engagé à droite mais s’opposant autant à la colonisation qu’à la gauche qui selon lui ne comprend rien de la grandeur, il sait plonger “dans les problèmes d’en bas pour des raisons d’en haut” — et vice-versa surtout lorsque sa foi est hantée par le doute. Electron libre, il sait piétiner les idées reçues ou attendues même s’il garde à De Gaulle une sorte de raisonnable dévotion .
Son “journalisme en littérature” avec les piques incessantes demeure original : il intéresse encore plus aujourd’hui que du temps où fut écrit ce “bloc-notes”. Il remet Mauriac dans la clarté et dans l’ombre de notre temps.
Sa foi n’empêche pas jusqu’aux athées de se retrouver dans un homme qui sans cesse, par-delà l’écume des événements, ne cesse d’interroger la vie, la mort et son approche, vieillesse venant.
En dépit de sa croyance, la mort reste un arrachement et parfois engloutissement dans les ténèbres face aux “portes de l’abattoir” comme si Dieu ne pouvait rien changer à son angoisse. Si son inexistence est pour Mauriac impossible, sa croyance n’a pour autant rien de triomphant. C’est une consolation loin des catéchismes.
L’inquiétude est là, comme chez Bernanos, même s’il ressent parfois un apaisement par sa fidélité en Dieu.
La chrétienté n’est pas pour lui une simple identité qui créerait les sectorialisations. Celles qui menacent la notion de patrie et pervertissent la notion d’identité qu’il s’agit de dépasser.
Contre une telle régression, Mauriac préserve la liberté de penser et la force de la langue au sein d’une révolte intime. Elle rend caduque des engagements douteux, les mictions de Sartre sur le tombeau de Chateaubriand et le marxisme.
Mauriac reste le témoin de ce qui est aujourd’hui refoulé A savoir, l’espérance et la charité. Il ne pratiqua pas toujours la seconde mais les deux restent pour lui les vraies vertus que les politiques d’hier (excepté De Gaulle ) ou d’aujourd’hui ont oublié.
Elles semblent avoir disparu. Ce qui détruit le monde.
Mais, pour Mauriac, la charité ne passe pas forcément par les bons sentiments et la complaisance. Néanmoins, l’auteur reste présent et rappelle ce que le journalisme devrait être même s’il est de plus en plus remplacé par la rapidité. Laquelle évite souvent la réflexion et une forme de sagesse que le Bloc-notes incarnait au sein de fournaises plus ou moins éteintes et remplacées par d’autres vicissitudes qui peuvent s’analyser avec les arguments que l’auteur propose.
jean-paul gavard-perret
François Mauriac, Le Bloc-notes — tome 1 1952–1962 , Tome 2 — 1963–1970, Robert Laffont, collection Bouquin, Paris, 2020, chacun 32,00 €.
Magnifique, cher Jean-Paul … ! Ah, le Bloc-notes ! Quels bonheurs !
Mauriac , Cauda et JPGP … Quel prodigieux trio !