François Mauriac, Le Bloc-notes — tome 1 1952–1962 , Tome 2 — 1963–1970

Sagesse du journalisme

Rare pri­vi­lège de l’âge, l’auteur de ces lignes a lu “en live” le bloc-notes de Mau­riac dans le Figaro Lit­té­raire des années 60. Il retrouve cet immense cor­pus où le polé­miste évo­quait l’actualité poli­tique mais aussi ses lec­tures et ce qu’il voyait au fil du temps —  et même à la télé­vi­sion - en réagis­sant en par­faite liberté et en zig-zag per­ma­nent mais avec une logique où toutes les réac­tions de l’auteur passent par la foi en Dieu.

Prosa­teur engagé à droite mais s’opposant autant à la colo­ni­sa­tion qu’à la gauche qui selon lui ne com­prend rien de la gran­deur,  il sait plon­ger “dans les pro­blèmes d’en bas pour des rai­sons d’en haut”  — et vice-versa sur­tout lorsque sa foi est han­tée par le doute. Elec­tron libre, il sait pié­ti­ner les idées reçues ou atten­dues même s’il garde à De Gaulle une sorte de rai­son­nable dévotion .

Son “jour­na­lisme en lit­té­ra­ture” avec les piques inces­santes demeure ori­gi­nal  : il inté­resse encore plus aujourd’hui que du temps où fut écrit ce “bloc-notes”.  Il remet Mau­riac dans la clarté et dans l’ombre de notre temps.
Sa foi n’empêche pas jusqu’aux athées de se retrou­ver dans un homme qui sans cesse, par-delà l’écume des évé­ne­ments, ne cesse d’interroger la vie, la mort et son approche, vieillesse venant.

En dépit de sa croyance,  la mort reste un  arra­che­ment et par­fois englou­tis­se­ment dans les ténèbres face aux “portes de l’abattoir” comme si Dieu  ne pou­vait rien chan­ger à son angoisse. Si son inexis­tence est pour Mau­riac  impos­sible, sa croyance n’a pour autant rien de triom­phant. C’est une conso­la­tion loin des caté­chismes.
L’inquiétude est là, comme chez Ber­na­nos, même s’il res­sent par­fois un apai­se­ment par sa fidé­lité en Dieu.

La chré­tienté n’est pas pour lui une simple iden­tité qui crée­rait les sec­to­ria­li­sa­tions. Celles qui menacent la notion de patrie et per­ver­tissent  la notion d’identité qu’il s’agit de dépas­ser.
Contre une telle régres­sion, Mau­riac pré­serve la liberté de pen­ser et la force de la langue au sein d’une révolte intime. Elle rend caduque des enga­ge­ments dou­teux, les mic­tions de Sartre  sur le tom­beau de Cha­teau­briand et le marxisme.

Mauriac reste le témoin de ce qui est aujourd’hui refoulé A savoir, l’espérance et la cha­rité. Il ne pra­ti­qua pas tou­jours la seconde mais les deux res­tent pour lui les vraies ver­tus que les poli­tiques d’hier (excepté De Gaulle ) ou d’aujourd’hui ont oublié.
Elles semblent avoir dis­paru. Ce qui détruit le monde.

Mais, pour Mau­riac, la cha­rité ne passe pas for­cé­ment par les bons sen­ti­ments et la com­plai­sance. Néan­moins, l’auteur reste pré­sent et rap­pelle ce que le jour­na­lisme devrait être même s’il est de plus en plus rem­placé par la rapi­dité. Laquelle évite sou­vent la réflexion et une forme de sagesse que le Bloc-notes incar­nait au sein de four­naises plus ou moins éteintes et rem­pla­cées par d’autres vicis­si­tudes qui peuvent s’analyser avec les argu­ments que l’auteur propose.

jean-paul gavard-perret

Fran­çois Mau­riac, Le Bloc-notes — tome 1 1952–1962 , Tome 2 — 1963–1970, Robert Laf­font, collec­tion Bou­quin, Paris, 2020, cha­cun 32,00 €.

2 Comments

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2 Responses to François Mauriac, Le Bloc-notes — tome 1 1952–1962 , Tome 2 — 1963–1970

  1. cauda

    Magni­fique, cher Jean-Paul … ! Ah, le Bloc-notes ! Quels bonheurs !

  2. Villeneuve

    Mau­riac , Cauda et JPGP … Quel pro­di­gieux trio !

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