Julien Boutreux, Vous qui rampez sous ma peau

Enchan­teur pourrissant

La poé­sie peut dési­gner la bête. Et plus par­ti­cu­lier leur peuple hété­ro­gène qui nous habite. Vers, blattes dures et autres coc­ci­nelles font de nous leur des­sert tout en conser­vant leur armure.
Le poète bien sûr ne les aime pas : mais que peut-il faire sinon que les “chan­ter” tout en  déchan­tant tant elles remuent “velues et urti­cantes” dans les cha­touillis paroxys­miques qui sont insup­por­tables ?
Les euca­ryotes  en effet sont tenaces. Mais peu à peu Julien Bou­treux n’a d’yeux et Dieu que pour ces grouille­ments même si, comme pour  le second, il ne les voit pas for­cé­ment. D’autant que cer­tains ne sont pas orvets ou lézards. Ils sont plus grands que le poète lui-même :  pieuvres et silures par exemple. Voire d’autres dont il ignore le nom mais dont il éprouve les pattes “chitineuses”.

De telles pré­sences — qui sait ? — dif­fé­ren­cient le tra­vail du deuil et celui de la mélan­co­lie dans divers plis du ventre ou déve­lop­pe­ments intem­pes­tifs. La vie s’y creuse, s’y mange du dehors comme de dedans. Si bien que poé­ti­ser revient à ins­crire le bes­tiaire qui nous habite. Nous en sommes les larves qu’il faut tatouer afin que la mai­son de notre être ne s’orne plus d’idéalité.
D’autant que de tels monstres anthro­po­phages nous ont pré­cé­dés et seront sans doute là après nous. Ils créent l’espace qui nous sépare de nous-mêmes et rap­pellent la vie d’avant le jour et d’avant le lan­gage. Il convient donc d’entrer avec, Julien Bou­treux, dans leur nuit. Ou la nôtre. Nous nous y débat­tons sans le savoir dès celle qui fut la pre­mière pour nous et que Qui­gnard nomme “la nuit sexuelle”.

Mais il se peut qu’un tel zoo soit signe d’une para­doxale éner­gie et d’un mou­ve­ment rédemp­teur. Quelle forme donc don­ner notre espace sinon celui de la bête? En nous elle per­siste. Et ce, même sous nos limaces.
Elle ne cesse de pour­suivre sa pai­sible, aga­çante et inquié­tante ger­mi­na­tion. Elle fabrique une pers­pec­tive que nous vou­lons igno­rer : celle de notre sta­tut d’homoncule — que Bou­treux emprunte à Beckett et des phi­lo­sophes anciens —  tout en ayant soin de pré­ci­ser le terme d’adjectifs défi­ni­tifs : flasque, inachevé et laid.

Qu’ajouter de plus ? Sinon que la poé­sie, et pour res­ter digne de sa déno­mi­na­tion, non seule­ment peut dési­gner la bête mais se le doit.

jean-paul gavard-perret

Julien Bou­treux, Vous qui ram­pez sous ma peau,  Edi­tions Le Conten­tieux, 2020, 64 p. — 8,00 €.

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