Les lectrice et lecteurs en voyant ce titre pourraient s’attendre à une anthologie classique des grands auteurs latins. Or il n’en est rien. Certes, se retrouvent dans des traductions nouvelles Plaute, Térence, Cicéron, Lucrèce, Catulle, Virgile, Horace, Ovide, Sénèque, Martial, Stace, Juvénal jusqu’aux Priapées anonymes et un choix d’épitaphes.
Mais l’anthologie ne se contente de ce “peu” qui pourrait néanmoins être à lui seul un tout. Preuve que pendant deux millénaires le latin persiste même dans sa version qu’on nomme “basse”. De fait, il n’est pas ce qu’il fut pendant 1000 ans et plus : la langue de la philosophie, de la religion, des sciences, de la poésie .
Pour le prouver, Philippe Heuzé et son équipe font renaître les poètes païens des IIIe et IVe siècles, les poètes chrétiens de l’Antiquité et du Moyen Âge de Lactance, ainsi que des hymnes liturgiques (le Salve Regina), des poèmes satiriques, moraux ou religieux, la poésie érotique du Chansonnier de Ripoll, les poètes de l’humanisme et de la Renaissance : entre autres Pétrarque, Boccace, Érasme, l’Arioste, Giordano Bruno, Du Bellay, Thomas More.
Même en s’étiolant peu à peu, le latin et son usage ne sont pas considérés — du moins chez les lettrés — comme d’abolis bibelots sonores et scripturaux. Pour beaucoup parmi eux, c’est même la langue par excellence. Celle de la poésie et de l’amour. Celle qui favorise les émois de l’âme éprise plus que la bâtardise des corps “animaux”.
Sa douceur, sa musique, son dulcedo enchantaient le jeune Pétrarque avant même qu’il ne la comprenne, rappellent les auteurs.
Un tel ouvrage reste une archéologie précieuse et le plus passionnant tient aussi à ce qu’il nous ramène aux temps les plus récents. Composant “Ver erat…,” l’élève Rimbaud utilise l’hexamètre dactylique propre au latin. Mais il n’est pas le seul à l’emprunter. Baudelaire, Giovanni Pascoli lui tiennent compagnie.
Et ce, jusqu’à Pascal Quignard. Celui-ci n’a cesse de revenir s’y alimenter à cette source d’où jaillirent en grande partie et entre autres ses Petits Traités.
jean-paul gavard-perret
Anthologie bilingue de la poésie latine, édition de Philippe Heuzé, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 2020, 1920 p. — 69,00 €.