Jax Miller, Les lumières de l’aube

La noir­ceur aux États-Unis !

Jax Mil­ler s’intéresse à l’affaire Freeman-Bible, un fait divers authen­tique qui reste irré­solu depuis plus de vingt ans.

Ce 29 décembre 1999, en Okla­homa, dans le comté de Craig, à l’ouest de Welch, Cathy Free­man pré­pare un petit déjeu­ner tar­dif pour l’anniversaire d’Ashley, sa fille de seize ans, et pour Lau­ria Bible, l’amie de celle-ci, du même âge. Ash­ley est une vraie cam­pa­gnarde comme sa mère. Les deux filles ont passé la jour­née de la veille à pré­pa­rer des ani­maux pour le concours de bétail des foires du comté et de l’État.
Danny, le père, a voulu s’établir dans ce coin perdu, près de quatre fron­tières d’État. Blessé au front par une arme à feu, il est au chô­mage car ses migraines, qu’il soigne à la mari­juana, empêchent tout emploi stable. Il déve­loppe une para­noïa depuis la mort de son fils, une mort acci­den­telle selon les auto­ri­tés, un meurtre de sang-froid selon les parents.

Le 20 décembre, Jack et Diane Bell partent tra­vailler à une tren­taine de kilo­mètres. Diane remarque une lueur qui l’intrigue. Ils com­prennent que c’est le mobile home des Free­man qui brûle. Ils s’arrêtent à la pre­mière mai­son qu’ils trouvent pour pré­ve­nir. Les agents du bureau du shé­rif, le CCSO, ne trouvent qu’un corps. L’OSBI, le Bureau d’enquête de l’État de l’Oklahoma prend le relais.
Le pre­mier jour, ils ne trouvent qu’un cadavre. L’autopsie révèle une balle dans la tête. C’est le deuxième jour que les enquê­teurs trou­ve­ront les restes d’un second corps pié­tiné la veille par les poli­ciers. Et les deux filles sont introu­vables. Elles ont disparu…

C’est en fin 2015 que Jax Mil­ler décide d’écrire sur cette affaire. Elle ren­contre, au début de 2016, Lorene Bible, la mère de Lau­ria qui, sans relâche, cherche à faire écla­ter la vérité, retrou­ver sa fille. Ce qui retient l’attention dans le livre de Jax Mil­ler, outre l’enquête qu’elle mène à la façon des affaires non réso­lues, est la des­crip­tion d’une Amé­rique pro­fonde, qui n’est pas belle à voir.
Si elle décrit avec minu­tie et talent ses propres recherches, les pistes oubliées, négli­gées, voire effa­cées, à l’époque, l’incurie d’une police trop impli­quée dans ses propres tur­pi­tudes, dans leur col­lu­sion avec le ban­di­tisme, elle brosse un por­trait sans conces­sions de la popu­la­tion locale. Elle peint ces figures avec moult détails, com­po­sant des per­son­nages de chair et d’os.

Dans ce milieu rural, les mêmes plaies que celles du milieu urbain prennent une autre dimen­sion. L’omniprésence de la drogue, sous toutes ses formes, impose une vio­lence, les pro­blèmes liés à l’absence d’emplois durables, le chô­mage, les pro­blèmes fami­liaux et sur­tout le silence face à une police aussi cor­rom­pue que les délin­quants qu’ils doivent, en prin­cipe tra­quer. C’est la des­crip­tion d’une misère tant phy­sique que morale, tant sociale qu’intellectuelle. Et si la pug­na­cité d’une Lorene Bible va peut-être ame­ner à la vérité, elle montre le déca­lage qui existe entre l’affichage d’un pseudo rêve amé­ri­cain et une réa­lité sor­dide.
Avec Les lumières de l’aube, la roman­cière prouve que la réa­lité dépasse la fic­tion. Aucun auteur n’oserait décrire une police telle qu’elle existe sur ce ter­ri­toire, une enquête telle qu’elle a été menée, ayant la crainte de se faire accu­ser d’avoir un cer­veau valé­tu­di­naire, de faire juger ses écrits comme nuls.

Jax Mil­ler, dans ce livre qui n’est pas une fic­tion, dépeint avec brio des popu­la­tions confites dans ces zones oubliées où peuvent s’épanouir de sombres secrets.

serge per­raud

Jax Mil­ler, Les lumières de l’aube (Hell in the Heart­land), tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Claire-Marie Clévy, Plon, octobre 2020, 384 p. – 22,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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