Dans ses confidences radiophoniques (qui peuvent s’écouter sur France Culture en son application numérique) à Marguerite Taos Amrouche, Jean Giono se livre suivant l’indication de son intervieweuse : « Je suis là pour vous demander de nous raconter librement vos souvenirs et aussi ces histoires que vous improvisez pour tous ceux qui ont le privilège de vous entendre, le soir, quand vous fumez votre petite pipe. »
De telles mémoires sont passionnants. Avec simplicité et humour mais sans en rajouter dans le style Pagnol, l’auteur ramène à la gestation de son oeuvre et sa publication. Grasset pensa que Colline (envoyé par un ami de l’auteur) était le fait d’un écrivain confirmé — eu égard à la qualité du manuscrit — qui se cachait sous un pseudonyme.
C’est seulement lors de sa montée à Paris pour la publication de l’ouvrage que l’éditeur comprend qu’il ne s’agit pas d’une supercherie…
Celui qui avait signé avec lui un contrat pour trois livres lui remet sine die les deux autres (puisque sept était déjà écrits !). Et ce, avant d’en publier trois autres chez Gallimard puis de revenir un temps chez Grasset. … L’auteur ne prend jamais de pose pour expliquer son atelier de la création.
Se comprend sa poétique descriptive des lieux et des hommes fondée sur leur connaissance. Et ce, plus particulièrement lorsqu’il était courtier de titres en campagne (à tous les sens du terme…) pour la banque qui l’employait. Il donne au passage toute une théorie pratique de la vente et avoue ces moments d’écriture “pris” sur son temps de travail.
Mais il évoque autant la guerre — dont il connut les tranchées — avec une grande pudeur mais en rappelant l’essentiel. Pas question à Verdun ou au Chemin des Dames d’écrire : il s’agissait de sauver sa peau — entre autres dans le bataillon de 160 hommes dont il fut un des deux survivants.
L’ensemble des propos est parfaitement monté dans une construction enjouée à travers souvenirs, portraits, anecdotes qui ont fourni la matière des romans et nouvelles de Giono. Se retrouvent parfaitement son talent de conteur et toute sa simplicité si bien que de tels entretiens dépassent largement l’aspect de document ou de marginalia.
La complicité est constante entre les deux interlocuteurs et le livre reste la propédeutique idéale à une oeuvre qui, au fil du temps, ne perd rien de sa force.
Bien au contraire.
jean-paul gavard-perret
Jean Giono, Propos et récits. Entretiens improvisés avec Marguerite Taos Amrouche, Gallimard, coll. Blanche, Paris 2020. Publié le 5 novembre.