lelitteraire.com propose de manière inédite à ses lecteurs ayant apprécié les billets “en marge” de Didier Ayres de découvrir chaque semaine une partie de son oeuvre théâtrale, H.P. (Scènes de désespoir et de miracles).
avant-propos de l’auteur :
H.P. porte un regard sur l’institution psychiatrique. En 12 scènes on y retrouve l’essentiel des vrais moments d’un asile, des séquences véridiques de ce lieu de surveillance : les infirmiers, les patients, les thérapeutes, les familles, l’heure du thé dans l’après-midi, la nuit avec ou sans sommeil, la contention, les conversations entre les asilaires, etc. Ce qui ressort de cette plongée en milieu hospitalier, c’est la souffrance de tous et de chacun, douleur qui s’exprime soit par l’angoisse, soit par le rire.
C’est ce destin d’une communauté de vivants — comparables à des détenus — qui m’a poussé à imaginer cette pièce. La tension dramatique, tension d’êtres humains bousculés comme en une nef des fous, pour moi a fait théâtre (plus à mes yeux que la célébration d’un office religieux). Ce qui est sacré ici, c’est cette focale sur le fond de l’être. Ainsi, « le monde est un théâtre ».
didier ayres
lire la scène 4
Scène 5 :
Tenez-vous les mains.
Oui.
Oui.
Oui.
Oui.
Oui.
Oui.
Qui prend le départ ? toi ?
Moi.
Une, deux, trois. C’est un exercice : ex-er-ci-ce !
On peut avec la danse ?
Une thérapie.
Ceux qui sont forts viennent avec moi.
Guérir.
Soigner ?
Ce n’est pas la guerre ? non ?
Alors, je vais guérir ?
Et pourquoi pas ?
Parce qu’il faut se méfier des autres, prendre le visage hébété qu’ils attendent, être raisonnable comme on dit.
Allez, on repart.
Non.
C’est elle qui pousse.
On se lâche les mains. On fait un demi-cercle, on imagine une étoile qui part de la tête et qui va à la jambe droite, puis de la jambe droite on imagine une ligne jusqu’à la main gauche, puis de là, on continue vers la main droite, et enfin de la main droite, on dessine une ligne jusqu’au pied gauche et on revient à la tête.
À quinze ans, c’est un professeur de lettres qui m’a fait m’allonger sur le dos en écoutant de la musique, et j’ai eu si peur, que tout disparaissait, et qu’il a fallu que je me dédouble, que je quitte mon petit corps de quinze ans pour celui d’un homme de cinquante, et la peur, oui, la peur, la panique.
On fait une rosace.
Fermez les yeux ; faites une ligne imaginaire : tête, pied droit, main gauche, main droite, pied gauche, tête, c’est bien compris ?
Je n’arrive pas.
Ça s’équilibre, non ?
Cela fait une étoile ?
Maintenant, imaginez une musique très très lointaine, et puis au fur et à mesure, les yeux fermés, cette musique se rapproche de vous et se recentre sur quelque chose en vous de très petit.
Cinq heures !
C’est le goûter.
On se relève. On se déplie. On s’ouvre. On se dit à la semaine prochaine.
Oui.
À bientôt.
Oui.
Oui.
Oui.
{ à suivre }