Barbara Cassin, Le Bonheur, sa dent douce à la mort

Une aca­dé­mi­cienne irrésistible

On ne sau­rait trou­ver moins aca­dé­mique que cette “auto­bio­gra­phie phi­lo­so­phique“ qui tient pour­tant la pro­messe de son sous-titre, dans la mesure où elle retrace vrai­ment le par­cours intel­lec­tuel de l’auteure. On saura sinon tout, du moins l’essentiel des influences qui for­mèrent son esprit, et de ses ren­contres avec de grandes figures du monde intel­lec­tuel.
On s’en régale, car Cas­sin a un don indis­cu­table pour le por­trait : “Hei­deg­ger appa­rais­sait […] en même temps comme un ton­ne­lier bava­rois – petit, bedon­nant, mous­ta­chu, alerte quand il fait un car­reau à la pétanque – et comme un aigle avec des yeux d’aigle, un nez d’aigle, les deux faces unies dans le rythme hal­lu­ci­na­toire d’une parole“ (p. 103). “René Char était un homme dont la sta­ture s’encadrait dans les portes qui deve­naient petites“ (p. 113).

A pro­pos du poète, citons aussi cette anec­dote : “Il tra­ver­sait le Luxem­bourg. Il s’arrête à côté d’une belle fille enso­leillée qu’il voit en train de lire son der­nier recueil de poèmes. Il lui demande : « C’est bien, ce que vous lisez ? » Elle lui répond : « Fichez-moi la paix, vous ne com­pren­driez pas »“ (p. 121).
Ce qui séduit le plus le lec­teur, tout au long du récit, c’est l’irrésistible humour de Cas­sin, qui se déploie à la moindre occa­sion, et qui se nour­rit entre autres des pro­verbes d’une aïeule sabo­tière, dont l’inoubliable “Trente-six fesses font dix-huit culs“, uti­lisé “pour conclure les dis­cours des intel­los“ tels que son fils (p. 22).

Issue d’une famille qu’elle por­trai­ture avec une affec­tion qui n’empêche pas l’esprit cri­tique, Cas­sin fait l’éloge du men­songe (dont sa mère sut se ser­vir pour sau­ver son mari sous l’Occupation), mais aussi (en pre­nant le contre­pied du corps paren­tal) de l’infidélité qu’elle a pra­ti­quée avec le consen­te­ment de son mari.
De toute évi­dence, dans le cas de ce couple, l’attachement est tou­jours resté le plus fort, y com­pris lors de la mala­die mor­telle d’Etienne qui avait refusé de finir sa vie à l’hôpital, un choix que l’auteure com­mente en ces termes : “J’ai com­pris que nous avions, en somme, le droit d’être heu­reux“ (p. 225). L’évocation de ces der­niers mois de bon­heur a de quoi vous mettre la larme à l’œil, mais là encore, la vita­lité et la drô­le­rie de Cas­sin prennent le dessus.

On gage que ce livre aura un lec­to­rat plus vaste que celui des ouvrages pro­pre­ment phi­lo­so­phiques, et qu’il pas­sera de main en main.

lire un extrait

agathe de lastyns

Bar­bara Cas­sin, Le Bon­heur, sa dent douce à la mort, Fayard, sep­tembre 2020, 244 p. – 20,00 €.

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