Philip Mansel, Louis XIV. Roi du monde

Louis XIV grand mal­gré tout

Il est tou­jours pro­fi­table de connaître le regard que les his­to­riens étran­gers posent sur les grands per­son­nages de notre his­toire.
Disons d’emblée que l’analyse du Bri­tan­nique Phi­lip Man­sel sur Louis XIV ne manque pas d’intérêt et fait grin­cer nos patrio­tiques dents.

On sou­li­gnera tout d’abord la grande richesse du livre, l’abondance des connais­sances, la soli­dité des ana­lyses et le brio des por­traits. On a affaire ici à une somme impres­sion­nante sur l’ensemble du règne du Roi Soleil, tous les domaines étant trai­tés. Cette maî­trise de l’époque per­met à l’auteur de revi­si­ter cer­tains aspects de notre his­toire que nous croyons défi­ni­tifs. Par exemple, il place la Fronde dans son contexte euro­péen qui est celui de la révo­lu­tion anglaise, ce qui lui per­met d’affirmer que la monar­chie fran­çaise aurait pu être ren­ver­sée, et ne l’a pas été grâce à la fidé­lité de l’armée et à la popu­la­rité du jeune roi.
De même, aime-t-il rap­pe­ler que l’installation de la Cour à Ver­sailles s’explique aussi par l’attrait de Louis XIV pour la vie à la cam­pagne (et que confirment ses fré­quents séjours à Marly ou à Tri­anon). Notons aussi l’extraordinaire influence, pour ne pas dire le pou­voir, des femmes sur la Cour mais aussi sur les affaires gou­ver­ne­men­tales. Manière de rela­ti­vi­ser l’enfer miso­gyne que serait la France depuis toujours…

Cinq points occupent l’essentiel de l’étude : les vastes ambi­tions exté­rieures du Grand Roi qui le conduisent dans une poli­tique de guerre désta­bi­li­sa­trice au niveau euro­péen ; les méca­nismes de gou­ver­ne­ment d’un sys­tème pré­senté comme absolu mais que l’historien anglais nuance ; la désas­treuse poli­tique inté­rieure de per­sé­cu­tions des pro­tes­tants ; les rela­tions avec les évè­ne­ments qui ne cessent de déchi­rer l’Angleterre ; et enfin le regard déjà mon­dial que Louis XIV porte sur l’expansion fran­çaise, depuis le Mis­sis­sipi jusqu’au Siam.

Tout en recon­nais­sant les suc­cès et les mérites du règne louis-quatorzien, Phi­lip Man­sel en dresse un bilan très sévère en vérité. La per­sé­cu­tion des hugue­nots fit de ces der­niers des enne­mis achar­nés de la France, l’image du royaume à l’extérieur subis­sant alors une dégra­da­tion très forte. Sans par­ler de la dévas­ta­tion du Pala­ti­nat…
Le sou­tien constant et visible aux Stuarts lui fit perdre l’alliance anglaise. « L’Angleterre, alliée de la France au cours de presque tout le siècle écoulé, d’Elizabeth Ière à Charles II, venait de chan­ger de camp. » Com­mença alors la seconde guerre de Cent Ans. L’auteur y voit deux erreurs majeures que Maza­rin n’aurait pas commises.

La guerre de Suc­ces­sion d’Espagne jeta la France au bord de l’abîme. Dans des pages pas­sion­nantes, Phi­lip Man­sel décrit la manière dont Louis XIV s’engouffra dans cette poli­tique qui rom­pait l’équilibre euro­péen et qui dressa l’Europe contre la France. Mme de Main­te­non s’en lamen­tait : « La France s’était trop éten­due, notre nation était inso­lente et déré­glée. » Mais il rap­pelle aussi les misères du royaume et le bouillon­ne­ment alors en ges­ta­tion.
La fidé­lité des nobles et des bour­geois, leur adhé­sion à l’idéologie de la monar­chie autant que la force de l’Etat empê­chèrent la situa­tion de dégé­né­rer en révo­lu­tion. Enfin, il ana­lyse très bien les res­sorts sur les­quels le roi s’appuya pour se sor­tir de l’ornière, son refus de négo­cier une paix désa­van­ta­geuse et son appel au patrio­tisme des Français.

La réa­lité est cruelle : si en 1661, la France était liée par des trai­tés à une immense majo­rité des pays euro­péens, à la fin du règne, elle ne pou­vait plus comp­ter que sur l’Espagne, la Suède, la Bavière et l’Empire otto­man (qui occupe une place cen­trale dans la diplo­ma­tie de Louis XIV comme ne cesse de le mon­trer le livre).
Pire, les enne­mis de la France accé­dèrent au rang de grande puis­sance : l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche. Quant aux finances, elles tou­chaient le fond.

Et de tout cela, Louis XIV porte la res­pon­sa­bi­lité d’après notre col­lègue bri­tan­nique qui en fait un por­trait bien dur : « nar­cis­sisme, manque de mesure, absence de réa­lisme et inca­pa­cité de pré­voir les consé­quences de ses actes » aux­quels il rajoute le besoin d’être admiré et les illu­sions sur la puis­sance fran­çaise.
Tout cela ne l’empêche pas de recon­naître que la France louis-quatorzienne a brillé de mille feux sur l’Europe, par les arts et par les lettres.

Tout cela est si juste…

fre­de­ric le moal

Phi­lip Man­sel, Louis XIV. Roi du monde, Passés/composés, août 2020, 833 p. — 29,00 €.

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