En 2015, l’auteure a perdu l’un de ses fils, Carl, âgé de 25 ans, dans des circonstances que je ne révèlerai pas, car elles s’éclaircissent au fil du récit. Ce bouleversement, terrible non seulement pour la mère, mais pour toute la famille et pour les autres proches de Carl, qui était particulièrement attachant et affectueux, donne lieu à un livre où se mêlent des extraits du journal intime de Naja Marie Aidt, des fragments de prose, des poèmes et des documents trouvés dans l’appartement du défunt.
L’auteure cite, en outre, de nombreux textes d’écrivains évoquant le deuil – le corpus va des littératures antiques à Joan Didion, en passant par Mallarmé et Jacques Roubaud -, qui l’aident dans sa souffrance et dans sa réflexion sur la façon dont l’humain réagit à la perte d’un être cher.
Indépendamment de son aspect fragmentaire (renforcé par la typographie qui utilise différentes polices et plusieurs styles), le récit offre une cohérence parfaite, même si le lecteur ne la perçoit pas dès les premières pages. De fait, elle se dessine progressivement, entre autres à l’aide d’un procédé très judicieux qui consiste à reprendre par étapes, en répétant chaque fois la dernière, le récit de la soirée où la mort de Carl est annoncée par téléphone, et des lendemains.
L’écriture d’Aidt couvre une palette allant de la phrase inachevée, proche du cri, à des passages très élaborés. Dans tous les cas, le lecteur perçoit parfaitement l’état d’esprit de la narratrice (saluons le traducteur), et souvent, il s’en trouve imprégné de façon poignante. Nous n’en sommes pas empêchés pour autant d’avoir un point de vue différent de celui de la mère sur certains faits, comme sur la manière dont elle les interprète.
Une partie de ce décalage provient probablement du fait que le livre a été achevé seulement deux ans après l’événement tragique : l’auteure semble manquer de recul par endroits, d’où résultent quelques contradictions dont elle s’est peut-être aperçue depuis. La plus frappante consiste à mettre en avant, maintes fois, l’idée qu’elle “déteste l’art“ et que l’on ne saurait écrire sur la mort d’un être aimé que de façon maladroite et/ou fragmentaire.
On comprend que cet état d’esprit ait pu s’imposer à Aidt pendant telle période, mais son insistance sur ce sujet n’en est pas moins en contradiction avec une partie des textes qu’elle cite, et avec son propre récit, qui relève bien davantage de l’art que du simple cri de rage ou de douleur.
Quoi qu’il en soit, le livre est bouleversant et fascinant, au point qu’on y repense constamment après l’avoir refermé. Je le conseille à tous les lecteurs qui connaissent le deuil d’expérience, et à ceux qui sont sensibles aux histoires de famille.
agathe de lastyns
Naja Marie Aidt, Si la mort t’a pris quelque chose rends-le. Le Livre de Carl, traduit du danois par Jean-Baptiste Coursaud, Do, septembre 2020, 184 p. – 18,00 €.