Refusant de jouer le rôle de victime et de se laisser enfermer dans le statut d’artiste femme, Chiara Fumai (1978 — 2017) a pratiqué l’ironie au sein d’une “fiction véritable” forgée sur des remix et des réappropriation en ses performances qui évoquent des figures féminines en colère qui marquèrent l’histoire humaine dont elles furent néanmoins les oubliées…
Il y à là et entre autres la femme à barbe Annie Jones, attraction de Barnum, “la beauté circassienne” Zalumma Agra, elle aussi offerte aux regards dans le même cirque, la terroriste allemande Ulrike Meinhof, la médium analphabète Eusapia Palladino ou encore la philosophe Rosa Luxembourg. Mais surgissent aussi des magiciens masculins : Harry Houdini ou Nico Fumai, le personnage de fiction inventé par Chiara.
Le Centre d’Art Contemporain Genève propose la première rétrospective consacrée à l’œuvre de l’artiste. Elle a fortement contribué à développer les langages de la performance et de l’esthétique féministe du XXIe siècle.
L’exposition scénarise une sélection importante de travaux, même si les performances sont a priori insaisissables (puisque Chiara Fiumai refusa de les documenter) mais rendent l’artiste unique.
Avec “I Did Not Say or Mean “Warning” “, elle traduit l’esprit d’une femme anonyme guidant le public à travers la collection d’art historique de la Fondation Querini Stampalia à Venise. Dans “Chiara Fumai reads Valerie Solanas” , elle propose une propagande fictive de Silvio Berlusconi.
“The Book of Evil Spirits” offre une séance de spiritisme de la médium Eusapia Palladino qui témoigne de l’intérêt porté par la créatrice pour les expériences médiumniques et la magie noire.
Le titre de l’exposition s’inspire d’une sculpture inachevée – celle du dernier autoportrait de l’artiste, sous la forme d’une marionnette portant un t-shirt sur lequel est écrit “Poems I Will Never Release”. Cette phrase mélancolique évoque ce que l’artiste aurait pu faire si elle n’était pas morte prématurément.
Elle rappelle aussi que Chiara Fumai se fondait son travail sur l’interprétation de mots écrits par d’autres, n’ayant elle-même jamais composé ses propres poèmes. Elle a préféré rassembler les paroles de femmes qui réclamaient vengeance et cherchaient à obtenir une reconnaissance méritée.
jean-paul gavard-perret
Chiara Fumai, Poems I will Never Release, 2007–2017, Centre d’art Contemporain, Genève du 4 novembre 2020 au 31 janvier 2021.