Ulysse est encore ici (mais à peine)
Florence Andoka restitue les cartes du mythe d’Homère. Le retour d’Ulysse est revu et corrigé avec une sensualité rare et selon un sacré dépoussiérage. L’auteure maltraite à bon escient les mâles et le héros en premier (ou dernier).
Elle laisse aux femmes l’occasion moins de tirer des plans sur la comète que sur des queues par forcément de billard au moment où capote l’histoire du côté de l’absurde et surtout du grotesque plus profond qu’il n’y paraît.
Il y a de la jouissaille et de beaux hématomes d’amour crochu en pleine mer. Calypso, même si elle n’a rien à voir avec la jeunesse, devient la vieille roue d’un système.
Elle navigue en eaux plus ou moins troubles avec des sortes de femmes, qui sont des “soeurs aux pieds bruns et aux langues souples” — c’est surtout ce qui compte…
Néanmoins, avec la partie féminine de l’humanité, le respect est de mise. Elle lorsque les gorgones mènent le bal, il ne s’agit pas seulement de badiner avec l’amour : “qu’on bande ou ne bande pas” et que l’ “on ri[e] et pleure du minou”, il ne convient jamais de posséder l’autre mais de lui prêter l’attention qu’il ou elle (surtout) pourra rendre au centuple.
A ce titre, Pénélope tiendra jusqu’au bout son rôle même si “elle n’a jamais raffolé de ce type” — entendons Ulysse — dont sa pratiquement veuve peut recevoir encore et potentiellement les honneurs.
Il y a du début à la fin de cette version tout ce qu’il faut pour une danse (Calypso bien sûr) en mer Egée. Des doigts détaillent le pourtour de glands et proposent même beaucoup plus. C’est du moins ce que Florence Andoka évoque.
Le tout avec de multiples attentions là où la fluidité générale est le fruit de mer de son écriture.
Il est vrai que l’auteure, dans son haro sur le mythe, s’en donne à corps joie. Telle une spécialiste, elle remplace les femmes dolentes en d’expertes exquises. Elles ont beau être taxées par Hermès lui-même, sinon de harpies, du moins de “pauvres nymphes” elles n’ont rien à faire des conseils des malotrus de l’Olympe. Chacune y va de ses actes et jouit avec plus ou moins d’attaches pour s’enivrer en s’asseyant au besoin sur les vits de “cadavres jasmins”.
Histoire de leur faire une fleur afin que vacille l’Odyssée, du moins telle qu’elle fut jusque là contée.
Nausicaa ne cesse de “glisser ses doigts autour de son clito”, Circé, Clytemnestre ne s’en privent pas plus. Et la créatrice s’enivre de tout ce qui se passe quand arrivent pour ses égéries — parfois baveuses et rancunières, parfois sans grand sens de la mesure - le temps du délice. Et qu’importe si çà et là la nostalgie pointe son nez en certaines grandes heures de la chair.
Existent toujours un fringant serviteur ou des sirènes qui — pour et avant que les femmes gagnent un repos bien mérité — massent d’abord leur périnée, ce qui n’empêche pas le héros d’Homère de cultiver l’espoir de se donner lui-même du plaisir. Mais ses ses doigts ne répondant plus, tout devient “eau sirupeuse et glacée”.
Bref, Ulysse n’est plus vraiment ici. Les pans de son périple sont d’autres paires de manche. Aux femmes patientes — et à défaut d’organe viril comateux - reste ce qu’Homère avait oublié de signaler. Florence Andoka le rappelle. Si bien que les belles sont sauvées des eaux en diverses histoires d’O.
Nulle, pas même Pénélope, n’est oie blanche. Jamais ennemies d’un certain zéro de conduite, elles restent partisane des carottes. Sauf bien sûr lorsqu’elles sont cuites.
jean-paul gavard-perret
Florence Andoka, Fluide, Z4 Editions, coll. Le bleu-turquin, Les Nans, 2020, 100 p. — 12,00 €.