« Hélas ! pauvre Yorick !… Je l’ai connu, Horatio ! C’était un garçon d’une verve infinie, d’une fantaisie exquise ; il m’a porté sur son dos mille fois. Et maintenant quelle horreur il cause à mon imagination ! »
La BBC a adapté entre 1978 et 1985 les trente-sept pièces de Shakespeare. Les éditions Montparnasse les proposent dans leur intégralité, en publication par coffrets successifs regroupant les tragédies (deux coffrets parus) ou les comédies (un volume paru).
Les pièces présentées sont disponibles en version originale, version sous-titrée en anglais et version sous-titrée en français. Ce ne sont pas des pièces filmées, mais bien des adaptations (les plus fidèles au texte possible), ce qui fait tout l’intérêt de l’entreprise, qui relèverait sans cela plus du simple catalogue.
On retrouve dans ce coffret toute la noirceur baroque de Shakespeare. A commencer par celle de Titus Andronicus : de retour à Rome, ce général ramène la reine des Goths, Tamora, dans ses bagages, avec ses deux fils. Il offre le premier en sacrifice, puis aide Saturninus à devenir empereur de Rome ; mais Saturninus choisit Tamora pour femme… La mise en scène de Jane Howell fait quelques contorsions avec l’ordre initial de la pièce, et certaines scènes sont déplacées ; mais l’on y retrouve le sens de la tragédie de Shakespeare, même si certains des choix esthétiques relèvent du gothique de pacotille plus que de la retranscription historique…
Roméo et Juliette est la deuxième pièce : inutile de présenter l’intrigue, mais on verra que la mise en scène, signée Alvin Rakoff, souligne tout l’éloignement du pétrarquisme originel de cette histoire reprise par Shakespeare.
Jules César est aussi une « roman tragedy » : les ambitions de César, on le sait, vont jeter la République dans le plus grand des troubles. Charles Gray, qu’on a connu en méchant dans les James Bond, n’a donc pas fait que des niaiseries, et s’avère ici un grand César, montrant la fabrique du personnage au fur et à mesure que la pièce se déroule.
Il y a, on le sait depuis Hamlet, quelque chose de pourri au royaume du Danemark : Derek Jacobi lui donne ici toute la dimension nécessaire au personnage, entre vengeance et difficulté d’être.
On quitte le Danemark pour l’Asie mineure et la guerre de Troie (Troïlus et Cressida) : Cressida va trahir Troïlus en retournant auprès de son père et en renonçant à son serment de fidélité éternelle. Même si nous sommes là dans le subtil entre-deux allant de la tragédie à la comédie, dont les frontières ne sont jamais bien nettes chez Shakespeare, c’est toute la confrontation de l’homme à lui-même qui est mise en valeur par les acteurs, Anton Lesser et Suzanne Burden.
Othello est le crédule héros qui cèdera à la jalousie, manipulé par Iago. On y retrouve une scène magistrale entre ces deux personnages, incarnés par deux acteurs monumentaux, Anthony Hopkins (Othello) et Bob Hoskins (Iago).
Ce coffret contient l’essentiel des tragédies de Shakespeare, celles qu’il faut connaître : les vidéos sont de bonne qualité, bien faites, le choix des langues pratique, le prix et la compacité un atout pour se forger une belle culture.
Si l’on cherche le texte, on trouvera dans les éditions récentes, en collection « Bouquins » chez Robert Laffont, une édition bilingue savante mais utilisable des tragédies et des comédies, en plusieurs tomes, accompagnés d’une biographie, d’un dictionnaire Shakespeare fort utile, de remarques de poétique, d’abréviations explicitées, d’introduction historique, etc., pour un rapport qualité/quantité/prix intéressant. Les mises en scène étant assez respectueuses, on peut aussi prendre le coffret comme un support de lecture pour les pièces, ou inversement.
yann-loïc andre
W. Shakespeare, Tragédies, volume 1, coffret de 6 DVD (Titus Andronicus, Roméo et Juliette, Jules César, Hamlet, Troïlus et Cressida, Othello), Editions Montparnasse, 2012 –40,00 €.