Marie-Laurence Netter, Du Théâtre à la Liberté : dans les coulisses des Lumières

Le triomphe de l’anti-héros

Dans un style très didac­tique, Marie-Laurence Net­ter se pro­pose d’étudier l’importance du théâtre au XVIIIe siècle, notam­ment dans sa face cachée. Douze mille pièces sont publiées de 1715 à 1789 : c’est dire s’il y a matière à étude !
L’introduction pro­pose de fré­quents allers-retours entre l’époque concer­née et la nôtre. Le théâtre du XVIIIe siècle serait en quelque sorte pour Marie-Laurence Net­ter ce qu’est la musique pour Jacques Attali (cf. Bruits) : il annon­ce­rait et por­te­rait en germe les prin­cipes de son évo­lu­tion et, plus géné­ra­le­ment, de l’évolution des mœurs, de la société, etc. L’auteur voit notam­ment dans la remise en cause de l’autorité du père (ce n’est pas Aldo Naouri qui la contre­dira !), la pro­mo­tion du sen­ti­ment d’égalité, l’individualisation du couple et son auto­no­mie par rap­port à la famille, les signes de la contes­ta­tion sociale, qui sont abou­tis (ou en passe de l’être) à notre époque. Tou­te­fois, M.-L. Net­ter indique que le théâtre n’est pas révo­lu­tion­naire, mais qu’il contri­bue à l’essor des idées qui feront la Révo­lu­tion.
Triste signe de notre époque éga­le­ment, et que l’on espère invo­lon­taire : les erreurs d’orthographe, assez nom­breuses dans l’ouvrage. Les protes des mai­sons d’édition ne sont plus ce qu’ils étaient (à admettre qu’ils existent encore…).

C’est que le théâtre du XVIIIe siècle se révèle très contes­ta­taire (sans aller bien loin, il suf­fi­sait d’avoir lu Beau­mar­chais pour en être per­suadé !), et a été un ins­tru­ment majeur dans la dif­fu­sion des idées nou­velles qui ont fait de la France le pays qui par­lait aux autres Nations.
L’ouvrage pré­sente de très nom­breux résu­més de pièces qui viennent étayer le pro­pos. Ces exemples, riches, sou­vent mécon­nus, tou­jours inté­res­sants, risquent tou­te­fois de venir para­si­ter la réflexion : les résu­més sont par­fois longs (mais com­ment faire autre­ment quand l’intrigue est éche­ve­lée ?), au risque de perdre le fil de la réflexion en se lais­sant dis­traire par la des­crip­tion de l’argument d’une pièce. C’est tou­te­fois le fon­de­ment intel­lec­tuel de l’ouvrage, qui se pro­pose de juger sur pièces (si j’ose dire) : la démarche scien­ti­fique et le parti-pris ori­gi­nel imposent de scru­ter le détail des pièces de l’époque pour en tirer une ligne direc­trice.
Le cha­pitre III, « Théâtres et gens de théâtre : gran­deur et ser­vi­tude » est très infor­ma­tif sur les condi­tions de vie, de repré­sen­ta­tion, sur le théâtre social et le théâtre de cour au siècle des Lumières.

A la croi­sée de l’histoire et de la lit­té­ra­ture, dans la vague actuelle de l’histoire cultu­relle (voir aussi, à ce pro­pos, l’intéressant ouvrage de Jean-Claude Yon, His­toire cultu­relle du XIXe siècle, éga­le­ment chez Armand Colin), la décou­verte lit­té­raire que pro­pose M.-L. Net­ter s’avère inté­res­sante, même si l’on a par­fois du mal à être convaincu par l’ensemble de son rai­son­ne­ment, un peu rapide, et qui méri­te­rait sans doute des déve­lop­pe­ments bien plus impor­tants. Pour reprendre les der­niers termes de sa conclu­sion, « le génie du théâtre tout au long de ce siècle est d’avoir insen­si­ble­ment amené tout le monde à pen­ser selon le même schéma, à se com­por­ter selon les mêmes codes et à consi­dé­rer l’intérêt par­ti­cu­lier comme supé­rieur à l’intérêt géné­ral devenu syno­nyme de contrainte. Ce qui compte désor­mais, c’est l’épanouissement per­son­nel, l’intérêt de chaque indi­vidu quelle que soit sa condi­tion, et plus les condi­tions sociales mises en scène sont modestes, plus le spec­ta­teur lui-même de condi­tion modeste s’y retrouve, ravi de se retrou­ver dans un monde fami­lier, tout en conser­vant la dis­tance un peu magique qu’impose la scène. […] ».
Il serait inté­res­sant de se deman­der alors si cette époque, et pas seule­ment au théâtre, n’est pas à la nais­sance d’une cer­taine forme de pen­sée unique, qui fait cou­ler tant de flots d’encre…

yann-loïc andre

Marie-Laurence Net­ter, Du Théâtre à la Liberté : dans les cou­lisses des Lumières, Armand Colin, 2012, 315 p. — 23,40 €.

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