Jordi Lafebre, Malgré tout

Une romance bien particulière !

Jordi Lafebre pro­pose une romance au long cours, sur plus de qua­rante ans, en com­men­çant par sa conclu­sion, la réunion des deux tour­te­reaux. Mais, ils ne sont plus les plus frin­gants jeunes gens qu’ils étaient lors de leur pre­mier échange de regard. Ce sont, cha­cun dans leur domaine, deux per­son­nages hauts en cou­leur. Si Ana s’investit dans sa ville au point de négli­ger quelque peu sa famille, son bureau, à la mai­rie, lui per­met d’avoir, de temps à autre, un échange de nou­velles avec Zeno, marin sur les océans.
Avec sa démarche de racon­ter à l’envers cette romance, il lui donne un côté nova­teur, inha­bi­tuel qui fait mer­veille. En effet, si on a l’honnêteté de ne pas lire les der­nières pages tout de suite, on trouve à cette his­toire une ten­sion cer­taine dans l’attente de connaître le point de départ.
C’est une ode à l’Amour, l’Amour unique qui défie le temps et qui per­dure Mal­gré tout.

Le récit débute par le cha­pitre 20, quand deux sexa­gé­naires, Ana et Zeno se retrouvent sous la pluie. Elle s’excuse et demande : “Tu m’attends depuis long­temps ?” “Depuis 37 ans…” Elle a apporté des bis­cuits réa­li­sés selon la recette de sa fille Clau­dia. Celle-ci lui a éga­le­ment coupé ses longs che­veux. Sur un banc, ils évoquent le pré­sent. Elle prend sa retraite de maire. Il vient de ter­mi­ner sa thèse de phy­sique com­men­cée il a qua­rante ans. Il va vendre la librai­rie qu’il a reçue en héri­tage de ses parents. Ils vont se retrou­ver enfin. Sur le quai où leurs pas les ont menés ils s’arrêtent, émus, devant la bitte d’amarrage por­tuaire n° 17.

Dans le cha­pitre 19, Ana annonce à sa fille sa déci­sion. Celle-ci s’emporte en pen­sant à son père. Sa mère lui affirme qu’elle l’a déjà mis au cou­rant. Pour l’instant, elle rentre cou­cher à la mai­son. Et le récit remonte le temps, quand Zeno sou­tient enfin sa thèse, qu’il voyage comme marin à tra­vers le monde, quand Ana élue maire, mène des chan­tiers dif­fi­ciles, en par­ti­cu­lier la construc­tion d’un pont. Cela fait qua­rante ans qu’ils s’aiment, depuis leur ren­contre impromp­tue, cha­cun séparé par le quo­ti­dien. Mais, un lien épis­to­laire et télé­pho­nique irré­gu­lier leur a per­mis de ne jamais se perdre.
Et le récit, peu à peu raconte une romance de la fin jusqu’au début.

Chaque page annon­çant un nou­veau cha­pitre est illus­trée avec un objet, en noir et blanc, qui syn­thé­tise le contenu déve­loppé. Le des­sin est l’œuvre du scé­na­riste. Il excelle dans l’expressivité des visages, l’illustration des sen­ti­ments, des émo­tions qu’il fait pas­ser par les regards. Même si les actions ne sont pas spé­cia­le­ment proches de celles d’une BD d’aventures débri­dées avec des héros cara­co­lant tous azi­muts, le dyna­misme des per­son­nages, dans leur quo­ti­dien, est fort bien rendu.
La mise en cou­leurs se par­tage entre Clé­mence Sapin et Jordi Lafebre.

Un récit astu­cieu­se­ment mis en scène, plein d’humour et de ten­dresse, d’émotions et de sen­ti­ments. L’album qui béné­fi­cie d’une pré­sen­ta­tion soi­gnée se lit avec un immense plai­sir porté par un gra­phisme déli­cat, d’une belle élé­gance et d’une grande beauté.
Sa lec­ture est un vrai bon­heur dans ces temps quelque peu chaotiques.

serge per­raud

Jordi Lafebre (scé­na­rio, des­sin, cou­leurs) & Clé­mence Sapin (cou­leurs), Mal­gré tout, Dar­gaud, sep­tembre 2020, 152 p. – 22,50 €.

 

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