Chronique douce-amère d’un tourbillon
Alessandra a grandi dans une famille d’émigrés italiens désargentés et, pour payer ses études, elle qui est en train d’écrire un roman, elle accepte un emploi auprès d’une de ses idoles : le fameux Walker Reade. Une décision qui n’est pas facile, d’abord parce qu’elle l’oblige à s’exiler à l’autre bout du pays, dans le Colorado où Walker s’est retranché avec son assistante Claudia et le défilé des parasites qui évoluent autour de lui – entre acteurs, politiciens et autres artistes en vogue qui tous savent trouver chez lui alcool, drogues et armes à feu à volonté.
Alley est avertie : elles sont nombreuses à être passées avant elle et à n’avoir pas honoré le contrat de faire pondre à un Walker en manque d’inspiration l’ouvrage qui paiera ses excès et soldera ses dettes.
Ce livre est en fait si inspiré de faits réels qu’il se situe à mi-chemin du roman et du documentaire. Car c’est l’auteure elle-même qui nous relate son expérience, dans les années 1990, auprès de l’illustre Hunter S. Thompson – inventeur du journalisme gonzo (d’où le titre). À cette époque, ce dernier n’est plus au sommet de sa gloire ni de sa forme, résultat d’une vie dissolue, faite d’excès en tous genres.
Non seulement il n’a plus d’inspiration, mais quand il finit par écrire une page ou deux, elles sont d’un niveau affligeant.
Entre les pages de ce livre déjanté, le lecteur est pris dans le tourbillon d’une vie sur le fil d’où la stabilité et la normalité sont bannies : rien n’est fait dans les limites du raisonnable, pas plus la consommation de stupéfiants que le maniement des armes ou même quee la simple commande d’un repas au restaurant.
Au milieu de ce délire permanent qui donne lieu à des scènes souvent drôles, racontées avec un humour piquant, perce une forme de désespoir, bien caché derrière une couche de cynisme, voire de cruauté chez Walker. De fait, le tyran qui règne sur son petit royaume en est en fait prisonnier, tout comme il l’est de son image et de sa réputation.
Paradoxalement, la jeune femme sans expérience, au premier abord vouée à se faire broyer, sera, elle, en mesure de se libérer, contrairement à lui. Mais, ultime ironie du texte, si Cheryl della Pietra a sans doute une existence moins périlleuse que Hunter Thompson, c’est néanmoins ce dernier dont la postérité retiendra le nom.
agathe de lastyns
Cheryl della Pietra, Gonzo Girl, traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Forestier, Stéphane Marsan, août 2020, 304 p. – 18,00 €.