L’aventure que propose Patrick Prugne s’intègre dans un cadre historique précis. S’il s’agit d’une vengeance mettant en scène un homme et un grizzly, cette espèce d’ours de trois cents kilos de muscles avec des griffes pouvant atteindre quinze centimètres, elle s’inscrit dans un tournant de l’histoire nord-américaine.
L’auteur a choisi de placer son récit dans le mois qui précède la bataille de Fort Carillon, une des plus sanglante de cette guerre de Sept Ans qui opposa la colonie française du Canada à la colonie britannique de New York, entre le lac Champlain et le lac George. Là, Près de trois mille hommes commandés par la général Louis-Joseph de Montcalm ont remporté une victoire sur une armée presque cinq fois supérieure en nombre.
Jean Malavoy est canadien. Il est devenu un milicien au service du roi de France. Il vit parmi les Amérindiens avec Abequa. Lorsque le frère de celle-ci vient avertir Jean qu’il a vu ce grizzly qu’il traque depuis des années, il part sur les traces de la bête, sans se soucier du reste. Il devait faire partie d’une patrouille chargée de surveiller, dans les bois environnants le fort, les mouvements des Anglais. Ceux-ci mènent sans cesse des escarmouches.
Le chef de la patrouille se pensait tranquille jusqu’au moment où ils sont attaqués par des Iroquois commandés par des Ecossais. Ces derniers ne font pas de quartier. Un jeune soldat peut cependant échapper au massacre. Il fuit, vite repéré par un Iroquois. Jean lui sauve la vie et l’entraîne dans sa traque, en évitant tout contact avec l’ennemi. Il raconte les raisons qui le poussent à vouloir tuer cet animal. Mais, comment, dans une vallée occupée par des britanniques et leurs affidés, deux hommes peuvent-ils échapper longtemps à une capture ou un assassinat ou à la rencontre avec un fauve ?
Patrick Prugne excelle dans le récit historique, particulièrement dans celui des sagas indiennes. Si besoin était de s’en convaincre, il suffit de se reporter à Canoë Bay, Frenchman, Pawnee ou Iroquois (Éditions Daniel Maghen). Dans cet album, il met en scène un coureur de forêt à la poursuite de l’ours qui a bouleversé sa vie quand il était enfant.
Très vite, l’action se détourne du fort pour se situer en forêt, au cœur d’une nature sauvage. Les péripéties se succèdent et le lecteur est déchiré entre l’envie de suivre ce déroulement du récit attractif et le besoin de s’attarder à admirer ces cases, ces pleines pages qui constituent quasiment des tableaux. Au-delà de cette quête de vengeance, l’auteur développe une intrigue fort subtile qui amène nombre de réflexions, nombre d’interrogations.
Comme à son habitude, il réalise des aquarelles de belle facture, mises en valeur par le choix d’un grand format d’album. Outre la galerie des personnages, il dessine une nature, une forêt et une faune remarquable, leur attribuant presque le rôle de héros de l’histoire. Le choix du titre relève d’une jolie acrobatie d’intrigue, à découvrir !
À la fois bande dessinée et beau livre, cet album se complète d’un cahier graphique de vingt-deux planches où l’auteur replace le récit dans la grande Histoire, donne quelques indications sur ce que sont devenus les personnages principaux et montre toute une série d’esquisses, de recherches.
Avec Tomahawk, Patrick Prugne offre une histoire dans une Histoire un peu oubliée avec une intrigue rouée, difficilement prévisible, magnifiée par une mise en images éblouissante.
serge perraud
Patrick Prugne (scénario, dessin et couleur), Tomahawk, Éditions Daniel Maghen, septembre 2020, 96 p. – 19,50 €.