Tristan Félix, Faut une faille

Oxymores et Maures occis

Se conten­ter de « ne res­sem­bler à rien » mérite un long exer­cice de science dite peu exacte — enten­dons la poé­sie. Il faut y ras­sem­bler ses forces. Car l’union fait la farce et Tris­tan Felix le sait.
Com­plè­te­ment à poil sous ses masques, elle se fait clown mais aussi tra­gé­dienne. Elle élec­trise les Électre qu’elle trans­porte en Espagne via le Che­va­lier Inexis­tant de Cal­vino, ce à quoi San­cho jamais ne pensa.

Dès lors, tous les textes de cet ouvrage de poé­tique en pen­sées et paroles s’appellent « Reviens ! ». Car notre Pes­soa fémi­nine, en mul­ti­pliant jusqu’à l’anonymat les hété­ros comme autant de mimes, ne cesse de nous éton­ner et esbau­dir. Les vivants le res­tent  mal­gré eux.
Il est vrai que la vue de la fin de sa vie ne pré­oc­cupe pas plus que ça celle qui fut  empê­ché de trou­ver un début conve­nable : “Mon passé m’a lassé, /Le futur m’dépasse” dit celle qui néan­moins a mal au temps tant il ne cesse de nous mentir.

Tentant de répondre au “si je suis” cher à Beckett, Tris­tan Félix écrit pour que le pré­sent s’écoule au moment où la capil­la­rité des liquides devient de plus en plus pré­gnante et gluante. Il faut le vidan­ger à coups de grandes his­toires d’O(vaine) et l’auteure ne s’en prive pas.
Face à tous ceux qui gisent — même une per­ruche dans sa cage rouillée -, la poé­tesse laboure les bitumes, secoue de nos têtes les poux qui pètent dans une salo­pe­rie de prin­temps pourri où “Mon­sieur Pâques” est resté fort marri.

Qu’importe les fêtes non païennes. Ici ” les occis-morts et les pseu­do­nymes ne sont que le revers de l’hétéronymie” dans une ubi­quité spec­trale où le par­tout est dans le nulle part. Et la créa­trice d’ “Ovaine” (qui res­tera son oeuvre totale) demeure l’Orphée des zans de fer plu­tôt que des car(ra)mels moux.
A force de les sucer, dépe­cée, en vrac, elle se retrouve  “la tête ici, les pieds là”. C’est pour elle la manière d’enchanter la mort mais sur­tout ce qui la pré­cède pen­dant un cer­tains nombres d’années avant que la Covid arrête la danse des ané­mones et des âmes mormones.

L’auteure nous rap­pelle par ses leçons d’inconduite que nous sommes bien peu de chose, quitte à pré­ci­ser pour chacun(e) de ses lecteurs(-trices) : et toi, qui es-tu ? His­toire de rompre avec les consen­sus lit­té­raires “bien-pensants, sociaux, évé­ne­men­tiels, pseudo-mallarméens” qui pensent répondre à tout. C’est à dire à rien.
Comme Rabe­lais et son “tout pour la tripe”, Tris­tan Félix elle aussi pos­sède sa règle :  “Tout pour la frite” (Kebab voire sieste coquine compris).

jean-paul gavard-perret

Tris­tan Félix, Faut une faille, Z4 edi­tions, 39300 Les Nans, 2020 — 14,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Poésie

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