Gilles Legardinier qui excelle dans l’intrigue drolatique et la comédie de mœurs s’aventure avec brio dans un domaine romanesque plus obscur, où règne une tonalité plus grave.
C’est le cas avec Pour un instant d’éternité, à la fois roman d’aventures, policier, récit ésotérique et conte philosophique. Il multiplie les thèmes et les rebondissements dans un récit multiple digne des plus beaux tours de passe-passe d’illusionniste.
Vincent installe des cachettes et des passages dérobés pour protéger les biens ou les personnes fortunées. Il a conçu une cachette pour un prince, à Paris. Pour prouver son efficacité, il propose que les gardes du corps le poursuivent, tirent sans sommation. Il utilise son système et se sort sans problème de la traque.
Vincent regagne son repaire sur la butte Montmartre où l’immense chantier du Sacré-Cœur transforme le paysage. C’est dans une ancienne pension de famille, protégée par de multiples chausse-trappes, qu’il retrouve sa bande. Elle se compose de Pierre, son jeune frère, de Konrad, un ébéniste et d’Eustasio, le maître du camouflage et du maquillage.
C’est avec colère qu’il découvre une nouvelle venue, une jeune fille. Fuyant ceux qui voulaient la vendre dans un bordel, elle est tombée par hasard dans leur domaine. En fait, elle est là depuis quelques jours, dissimulée par Pierre. L’Exposition Universelle mobilise toutes les attentions. Eustasio, en compagnie de la comtesse de Vignole, sa maîtresse, en visite une partie. C’est en rejoignant leur attelage qu’il est agressé par trois voyous qui le blessent grièvement.
Konrad a failli être écrasé par un fiacre. Le fait étant courant, il n’y prête attention qu’en lien avec l’attentat contre son ami. Vincent est contacté par un homme mystérieux qui connaît presque tout de son passé, ce passé qu’il veut taire à défaut d’oublier. Et Pierre, à son tour, est victime d’une attaque. Qui s’acharne sur le petit groupe pour le faire disparaître ?
Si l’essentiel de la trame relève de la fiction et de l’imagination féconde du romancier, celui-ci entremêle nombre de données, d’informations, d’événements tout à fait authentiques, historiques. S’appuyant sur une documentation solide, dont il livre quelques pistes dans une bibliographie, il amalgame réalité et création de façon si subtile que le résultat semble naturel.
Il intègre, ainsi, la naissance de La Compagnie de Jésus, connue aussi comme l’Ordre des Jésuites, fondée sur les lieux où se dresse aujourd’hui le Sacré-Cœur par Ignace de Loyola et quelques autres religieux. Le réseau des anciennes mines, des galeries sous Paris est énorme, même si une partie a été comblée ou fermée. Les lieux de culte foisonnaient dans la Capitale et d’après des spécialistes, une part de ces édifices détruits lors des travaux haussmanniens comportaient des cryptes pas toujours répertoriées et qui peuvent être découvertes par des curieux.
La création du Chat Noir à Montmartre, la fièvre liée au spiritisme et aux phénomènes paranormaux, qui a trouvé son apogée à la fin du XIXe siècle concourent à l’intrigue. L’Exposition Universelle de 1889, pour marquer le centenaire de la Révolution, a drainé des millions de visiteurs et fut l’une des plus belles manifestations à l’aune de l’ère industrielle.
Parmi les personnages singuliers mis en scène on remarque un horloger, initiateur de Vincent, et surtout Jean-Eugène Robert-Houdin, un illusionniste considéré comme le fondateur de la magie moderne. Nicolas Flamel est parmi les invités.
Mais Gilles Legardinier met l’accent sur la vérité d’une vie, sur les parcours qu’il serait souhaitables de suivre, sur le sens des actions à mener, sur l’importance du passé, de son héritage, sur la sauvegarde de certaines des connaissances.
Dans ce roman dont il raconte la genèse en postface, le romancier place humanisme et mystère en bonne place, dans un récit-fleuve, inventif et captivant.
serge perraud
Gilles Legardinier, Pour un instant d’éternité, Chloé Legardinirer (recherches préparatoires et gestion de la documentation), J’ai Lu n° 13039, août 2020, 640 p. – 8,90 €.