De tous les livres de mémoire de Patti Smith, L’année du singe est sans doute le plus abouti. L’écriture y trouve une musique qu’elle n’avait pas jusque là.
Et au moment où la vieillesse est là avec ses marées de morts, au lieu que tout s’assombrisse et en dépit d’une époque troublée, résiste un étrange et merveilleux fruit d’une méditation quasi mystique mais nourri de l’épreuve du vivant et aussi des expériences esthétiques et littéraires d’une créatrice qui ne cherche plus la pose. Des foucades encore possibles demeure l’émotion.
Il existe une exploration de la réalité. Elle est regardée en contemplant le ciel, la télévision (Aurore Clément plus blonde que jamais y fume une pipe de haschich) ou les oeuvres d’art. Pour Patti Smith, toute présence est devenue moins “réelle que le souvenir”. Et l’auteure d’ajouter : “Qui sait ce qui est réel, qui le sait ?“
Et, de fait, toute une sagesse hébraïque est à l’oeuvre dans cette formidable oeuvre intime.
Un tel journal du temps (“mais le temps est-il réel ?” écrit l’auteure) permet d’en gravir les marches ou de les descendre. Et le livre se termine par un “en guise d’épilogue”, sorte de testament où la créatrice évoque les chaos de diverses époques et leurs armes qui rendent mortes les âmes.
Il n’empêche, le rêve demeure. Et ce, pour répondre au destin et jaillir même si — ensuite et en fin de compte et conte — “on ne finit pas de se réveiller”.
Mais c’est aussi le moyen –paradoxal — d’y croire pour peu que, comme l’auteure, nous nous retournions sur notre parcours, moins par mélancolie que pour trouver un moyen de croire à l’avenir en traversant “l’année du singe” et la suivante (l’année du chien) et toutes les autres reprises et corrigées par ce qui nous advient et tandis que le monde avance dans “l’éternel film de l l’humanité”, ses ratés et ses injustices toujours renouvelées.
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jean-paul gavard-perret
Patti Smith, L’année du Singe, Gallimard, Paris, 2020, 180 p. — 18,00€.