Un libre tord-boyaux moins horrible que jouissif
Bertrand Belin propose ici un dépôt et une déposition : “Vrac est le livre par lequel m’est donnée la possibilité de mettre enfin en langue des expériences sensibles appartenant à mon enfance et mon adolescence” écrit-il.
Sans doute si l’auteur n’avait pas connu en 2019 (et après) un tel succès littéraire et discographique, un tel livre en “vrac” serait resté lettre morte.
Mais, pour autant, ce n’est pas l’occasion qui fait le larron. Car ce conglomérat est important. Il prouve comment s’élabore “la conquête nécessaire de la maîtrise du langage”, celle “d’un autre camp” que Belin peu à peu investit pour lui donner voix.
Fragments, poèmes, anecdotes, adages, définitions permettent de repenser ses origines et son enfance.
S’y retrouve une cetraine naïveté due à cet âge mais la brutalité, la drôlerie, l’emphase et “l’exercice d’imbécilité” (comme dit Novarina) s’exercent chez celui qui se rêvait prêtre des universités et tordait les normes de la langue. Il y a là un “bertrang” qui exprime le Bertrand d’Auray et ce, par ses dires dans un exercice de déconstruction, de déblayage et de boursouflures.
Elles soulignent celles de la rudesse de la vie de famille et le spectacle de celles des autres afin que jaillisse “la parole impossible à garder”.
Tout est féroce et roboratif à souhait et en prouesses épistémologique. Belin — comme Novarina déjà cité– prouve qu’il est inventeur de langage.
Celui qui souffre — depuis son enfance — de ses entrailles sociales trouve là un moyen d’en faire un oratorio par saccades en un libre tord-boyaux moins horrible que jouissif.
jean-paul gavard-perret
Bertrand Belin, Vrac, P.O.L éditeur, Paris, 2020, 160 p. — 14,00 €.