George Eliot, Middlemarch précédé de Le Moulin sur la Floss

Le pre­mier roman moderne 

S’embar­quer dans l’oeuvre de la roman­cière vic­to­rienne George Eliot — aujourd’hui bien délais­sée en France — revient à glis­ser dans le ter­ri­toire où pas­sions et illu­sions mènent sou­vent à la catas­trophe. Mais s’y acquiert une prise sur le monde d’aujourd’hui.
Certes, l’auteure nous emporte vers l’Angleterre du XIXème mais elle ouvre tout autant à une expli­ca­tion du présent.

La roman­cière crée des iden­ti­tés col­lec­tives et indi­vi­duelles, des groupes sociaux et fami­liaux et divers types humains : de l’érudit égoïste aux jeunes gens englués dans l’erreur amou­reuse, des jou­ven­celles à une pré­di­ca­trice métho­diste, etc. De fait, elle négli­gea — trop prise dans ses pro­blèmes — ceux liés au fémi­nisme ou aux ques­tions poli­tiques et sociales.
D’autant que, par sa com­plexion men­tale et psy­cho­lo­gique, elle resta peu encline aux chan­ge­ments bru­taux. Pour elle, le seul digne d’importance touche à l’amélioration morale de tous.

Et l’auteure de pré­ci­ser : « sup­po­ser qu’un gou­ver­ne­ment par­fait peut se créer ou per­du­rer autre­ment que par la vertu gran­dis­sante de l’humanité est une illu­sion ».
Dès lors, son objec­tif est de faire naître par ses his­toires “les émo­tions nobles qui font que l’humanité va dési­rer le bien social”.

La roman­cière ne cherche pas à pres­crire des mesures par­ti­cu­lières. Et ce, pour une rai­son majeure qu’elle expli­cite : “l’esprit créa­teur n’est sou­vent pas le meilleur juge » pour de telles ordon­nances. Le génie d’Eliot  demeure en effet plus lit­té­raire que mora­liste. Henry James, Mar­cel Proust, Vir­gi­nia Woolf, D. H. Law­rence ont sou­li­gné l’importance d’une oeuvre qui reste une expé­rience “frap­pante magni­fique” (Joyce).

La Pléiade per­met de décou­vrir celle dont Midd­le­march demeure en tête des romans les plus impor­tants des deux der­niers siècles pour les Anglais. C’est même pour Woollf « le pre­mier roman moderne ». Femme remar­qua­ble­ment savante, George Eliot (comme la notre — Sand) connaît et suit les débats théo­lo­giques, scien­ti­fiques, phi­lo­so­phiques, éthiques de son temps.
Ce sont eux qui nour­rissent ses fic­tions mais leur valeur tient moins à l’érudition qu’à la force d’une expres­sion lit­té­raire. Elle trans­forme l’auteure  en une créa­trice qui dépasse son temps.

Figure essen­tielle de la vie intel­lec­tuelle du Londres vic­to­rien et de ses creu­sets lit­té­raires, elle reste une réfé­rence effi­ciente qu’il convient de révi­ser, voire sou­vent de décou­vrir, pour com­prendre l’état de notre monde.

jean-paul gavard-perret

George Eliot, Midd­le­march pré­cédé de Le Mou­lin sur la Floss, trad. de l’anglais par Alain Jumeau & Syl­vère Monod. Édi­tion d’Alain Jumeau. Pré­face de Nancy Henry et George Levine Avec deux essais de Mona Ozouf, Biblio­thèque de la Pléiade, 2020, 1680 p. — 66,00 €.

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