Didier Ayres, H.P. (Scènes de désespoir et de miracles) - 1

lelitteraire.com pro­pose de manière inédite à ses lec­teurs ayant appré­cié les billets ” en marge” de Didier Ayres de décou­vrir chaque semaine une par­tie de son oeuvre théâ­trale, H.P (Scènes de déses­poir et de miracles)

 

avant-propos de l’auteur : 

H.P. porte un regard sur l’institution psy­chia­trique. En 12 scènes on y retrouve l’essentiel des vrais moments d’un asile, des séquences véri­diques de ce lieu de sur­veillance : les infir­miers, les patients, les thé­ra­peutes, les familles, l’heure du thé dans l’après-midi, la nuit avec ou sans som­meil, la conten­tion, les conver­sa­tions entre les asi­laires, etc. Ce qui res­sort de cette plon­gée en milieu hos­pi­ta­lier, c’est la souf­france de tous et de cha­cun, dou­leur qui s’exprime soit par l’angoisse, soit par le rire.

C’est ce des­tin d’une com­mu­nauté de vivants — com­pa­rables à des déte­nus — qui m’a poussé à ima­gi­ner cette pièce. La ten­sion dra­ma­tique, ten­sion d’êtres humains bous­cu­lés comme en une nef des fous, pour moi a fait théâtre (plus à mes yeux que la célé­bra­tion d’un office reli­gieux). Ce qui est sacré ici, c’est cette focale sur le fond de l’être. Ainsi, « le monde est un théâtre ».

didier ayres

 

Le lieu où se déroule cette pièce est ins­piré d’un lieu exis­tant, qui fait office d’asile psy­chia­trique non loin de Paris. Il s’agit d’un pavillon posé en pleine nature, qui forme un L. La jonc­tion des deux bâti­ments a été l’occasion pour l’architecte de construire une rotonde, vaste et bien éclai­rée, qui donne sur les parcs avoi­si­nants, et qui est recou­verte d’un sol de céra­mique de style ancien. Anciens aussi les huis­se­ries et les miroirs. Pour la com­mo­dité du récit, la pièce se déroule en vérité en Suisse, dans les Alpes suisses avec leur élé­gance et leur mystère.

1

Prends ma montre.

Prends ma montre, je te la donne.

Quelque chose d’intérieur, au milieu de ce chaos, parmi ces malades, une sorte de bateau de lumière ; c’est tout cela, avec la vio­lence.
J’ai l’air d’une fille, n’est-ce pas ?

Je marche tel­le­ment que mes chaus­sons m’ont brûlé la plante des pieds, ce qui me fait croire à une bles­sure, quelque chose de reli­gieux, une image de la fin du monde.
Je peux boire ?

Allez-y M. Rou­ge­mont
Je peux boire ?

Cela fait douze jours que vous êtes ici, vous devriez savoir que c’est pour votre santé.
Douze jours ? je croyais qu’on était ven­dredi. Le ven­dredi 17.

Oui, M. Rou­ge­mont, nous sommes bien ven­dredi 17. Il faut vous cal­mer et boire votre thé et man­ger vos bis­cuits. C’est l’heure du goû­ter. N’est-ce pas, M. Rou­ge­mont ?
Non, on est jeudi. Jeudi 17.

Moi, j’ai juste le sou­ve­nir de cette der­nière jour­née chez ma mère, la sur­veillance, l’apocalypse qu’elle ne voyait pas elle non plus. Au milieu de nulle part.
Pre­nez votre trai­te­ment. Donnez-moi la main.

Tu ne parles pas ?

Tu es là depuis long­temps ?

Tu as déjà vu la mer ? l’océan ?
Il est Américain.

Je suis instable n’est-ce pas ?

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Filed under En d'autres temps / En marge, Théâtre

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