L’irruption inattendue d’Emmanuel Macron et l’originalité de son positionnement politique alimentent les réflexions sur la définition la plus exacte possible du macronisme. Est-il de droite ? de gauche ? d’extrême-centre ?
Frédéric Rouvillois apporte des éléments extrêmement convaincants en le reliant à la pensée du saint-simonisme, ce socialisme utopique pourfendu par Marx, ce « socialisme libéral » dé-marxisé. Autant le dire dès maintenant, le macronisme se situe donc à gauche.
Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu’il se rattache à une philosophie du Progrès, qui est celle des Lumières, qui irrigue la pensée et les écrits des saint-simoniens et qui rend inepte tout lien des macronistes à la « conservation ».
Tous sont d’ardents défenseurs de ce que Frédéric Rouvillois définit comme une « révolution à la fois anthropologique, politique, sociale et même quasi religieuse, qui tend à remodeler l’homme en le réunifiant, la société en la rationalisant, les valeurs en les subordonnant à l’idée de progrès, au principe des droits de l’homme et au rêve d’un âge d’or », ce dernier placé non dans le passé mais dans le futur.
Et l’auteur, avec clarté et maîtrise des sources, de lister les points de convergence et d’analyser en profondeur la matrice idéologique que Saint-Simon offre à Emmanuel Macron.
La famille qu’on doit liquéfier pour en libérer l’individu, l’héritage qu’il faut liquider au nom de l’égalité des chances, le corps dont il faut jouir, le genre à dépasser, les identités à métisser, le politique à soumettre à l’économie, les frontières à lever, la liberté à surveiller, l’industrie à glorifier.
Tout repose en fait sur cette idée et cette religion du progrès que son caractère illimité transforme en mouvement perpétuel et en ennemi de l’immobilité. On vous forcera à bouger ! Une adoration quasi religieuse de ce progrès donc, mais aussi de la paix établie par la féminisation de la société et du travail émancipateur.
Gare aux oisifs et autres fainéants ! On les forcera à travailler ! « Qui ne travaille pas ne mange pas » disait le camarade Lénine…
Bref, un essai brillant et clair, accessible et dense qui permet de comprendre que libéralisme et socialisme peuvent cohabiter. Il confirme l’intuition de Philippe Blond selon lequel « le libéralisme contemporain est de plus en plus hostile à l’idée de liberté » (Le Figaro, 16 mai 2020). Un libéralisme devenu fou car redevenu progressiste et antichrétien, au service d’une société gouvernée par les plus capables, les plus intelligents, les plus dotés.
Un retour au suffrage censitaire en fait que certains ont appelé de leurs vœux sans se cacher lors du référendum sur le Brexit, afin de mettre à l’écart « la masse ignorante ».
Qu’il nous soit permis d’alimenter la réflexion sur les potentialités totalitaires de cette idéologie. Force est de constater qu’on y trouve bien des éléments de ces mouvements inhumains : l’obsession de l’unité sociale, son rôle de religion de substitution, son rejet du système démocratique et sa contrainte exercée sur les âmes à travers l’éducation qui, selon les saint-simoniens, « embrasse la vie entière ».
Rien de bien nouveau en réalité puisque, depuis les Lumières, la gauche est obsédée par cette idée totalitaire de perfectibilité de l’être humain.
frederic le moal
Frédéric Rouvillois, Liquidation. Emmanuel Macron et le saint-simonisme, éditions du Cerf, septembre 2020, 301 p. — 20,00 €.