Hervé Le Tellier publie un des livres majeurs de l’année. Fan des Stones mais de plus en plus des Beatles désormais (ce qui est sa manière de vieillir), l’auteur revendique le romanesque afin de ne pas mourir dans la vérité.
Que le monde soit une simulation ne lui empêche pas d’apprécier les fraîcheurs de son oreiller avant de dépasser le stade où l’univers humain se renverse en un lieu où l’existence précède l’essence — mais de peu.
La fiction dans sa simulation devient une histoire de probabilité que l’Oulipiste développe. Dès lors, l’intelligence qui n’a pas de bouche peut se dire de vive écriture. Et pour mieux comprendre ce qu’est la normalité, à travers les personnages en double du roman (ils séparés eux-mêmes de trois mois de plus ou de moins et tous membres d’un même avion lui-même “photocopié” en quelque sorte), l’auteur interroge son contraire : l’anormalité.
Dans cette histoire de clones, reste à savoir ce qui est essentiel au sein de notre existence et ses projections que lui procure l’avenir. Cela devient une affaire de choix remis en jeu dans ce qui, pour l’auteur, rappelle des moments de bifurcations fondamentaux.
Le Tellier — montrant la petitesse de l’arrogance de Césars qui ne sont que les contremaîtres d’une certaine inutilité — transforme son livre en “une expérience de pensée” entre divers états et hypothèses possibles au sein de ce que les autres savent trop bien ou trop mal.
Pénétrant l’écriture comme pénétrant en lui, l’auteur dit la vanité du monde comme celle de notre condition entre vanité des hommes et disparition de l’univers (ou sa matrice) au sein de l’espace-temps dont le présent n’est qu’un moment de l’univers-bloc en ses causalités passées ou futures auxquelles nous nous soumettons plus ou moins adroitement..
Le temps s’écoule ici par les secousses d’un temps subjectif à plus d’un titre au sein d’une simulation générale. L’erreur y est possible. Elle va devenir pour nous — ou nos “héritiers” — la seule exigence…
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jean-paul gavard-Perret
Hervé Le Tellier, L’Anomalie, Gallimard, coll. Blanche, Paris, 2020, 336 p. - 20,00 €.