Déconvenues avec l’altérité
Un personnage parle de ce qui se passe, de ce qui aurait pu se passer, de ce qui ne se passe plus. S’éclaire un paysage d’allure factice, comme une miniature grandeur nature. De nombreuses personnes viennent à passer, déjouant son récit, cantonné au monologue. Pourtant ils parlent, tous, de leur potentielle unité, de leur mobilité ; ils interloquent ce moi supposé posé, passablement indisposé.
Le propos est riche, ample, élaborant comme une petite mythologie portative. Les répliques s’installent dans une surabondance verbale qui peut paraître verbeuse, tant les discours sont privés délibérément d’objet. Il est pourtant question des conditions du dialogue ; les monologues s’invectivent brutalement, au point de devoir se coordonner. Le spectacle déroute : récusant toute narration, il esquive toute adresse et ne cesse de procéder à des décrochages.
Peu à peu se constitue une vaste fresque procédant d’interactions élémentaires et d’envolées lyriques entre Moi, le supposé sédentaire questionneur, l’Inconnue, celle qui sait et toujours s’échappe, et les Innocents, le peuple, les mouvants, le commun, les migrants. Le pari est osé ; la pièce s’essaie tant à la dénonciation du populisme, aux remarques sur la conduite d’une représentation de théâtre, qu’à l’exploration des limites du verbe. Le tout mêlé de références aux tragédies grecques.
Se construit comme une théorie du passage, de la mouvance qui au moins dans les imprécations élancées doit explorer les conditions du conflit, la fragilité de la paix réduite au modeste jardin de la convivialité éphémère.
Une ambitieuse métaphore des frasques de l’humanité, qui cherche à relier mais reste attachée à ses lopins, malgré qu’elle en ait.
Il est question de seuil, point où se décident dans la plus grande incertitude les appartenances, les accointances ou les déconvenues avec l’altérité.
christophe giolito
Les innocents, moi et l’inconnue au bord de la route départementale
Texte et traduction Peter Handke
Mise en scène Alain Françon
Photos © Jean-Louis Fernandez
avec Pierre-François Garel, Gilles Privat, Sophie Semin, Dominique Valadié
et Laurence Côte, Daniel Dupont, Yannick Gonzalez, Sophie Lacombe, Guillaume Lévêque, Hélène N’Suka, Joseph Rolandez, Sylviane Simonet
Assistanat à la mise en scène Sophie Lacombe ; décors Jacques Gabel ; lumières Joël Hourbeigt ; costumes Marie La Rocca ; musique Marie-Jeanne Séréro ; chorégraphie Caroline Marcadé ; son Léonard Françon et Pierre Bodeux ; coiffures et maquillage Cécile Kretschmar ; enregistrement musique Floriane Bonanni, Renaud Guieu, Ben McConnel, Thierry Serra ; réalisation des costumes par l’atelier de La Colline Isabelle Flosi, Charlotte Le Gal, Peggy Sturm.
Au théâtre de la Colline, du 3 au 15 mars 2020, Grand Théâtre15 rue Malte-Brun, Paris 20e / métro Gambetta • www.colline.fr
Billetterie 01 44 62 52 52 et du mardi au samedi de 11h à 18h30 billetterie.colline.fr
Production Théâtre des nuages de neige – coproduction La Colline – théâtre national, MC2: Grenoble, Théâtre National de Strasbourg
avec la participation artistique de l’Ensatt — École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théatre et du JTN — Jeune Théâtre National
Le Théâtre des nuages de neige est soutenu par la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture.
Edition
Le texte de la pièce Les Innocents, Moi et l’Inconnue au bord de la route départementale de Peter Handke est paru aux éditions Gallimard.
Peter Handke est représenté par les éditions Gallimard.