Aldo Schiavone, Ponce Pilate. Une énigme entre histoire et mémoire

Pilate s’est-il lavé les mains ?

Préve­nons le lec­teur : l’ouvrage com­mence par un Avant-propos ampoulé et empreint de pathos, dont on ne retrou­vera pas les défauts dans la suite du texte, et qui n’a rien d’indispensable pour bien com­prendre celle-ci.
La bio­gra­phie de Ponce Pilate écrite par Schia­vone est riche­ment docu­men­tée (ses sources couvrent 46 pages, en fin de volume) et cepen­dant très acces­sible.
La démarche de l’auteur consiste à relire, avec un regard cri­tique, les Evan­giles et l’ensemble des tra­vaux his­to­riques concer­nant son sujet, pour rete­nir ce qu’il juge indis­cu­table dans le par­cours de Pilate, et pour ten­ter d’élucider l’énigme de son atti­tude à chaque étape du “pro­cès“ de Jésus, qui n’était, d’après ses expli­ca­tions, rien de plus qu’une “enquête“.

Si les infor­ma­tions pro­pre­ment dites sur la vie de Pilate sont assez maigres, Schia­vone démontre, en contex­tua­li­sant sa car­rière, que le pré­fet de Judée devait avoir obtenu ce poste après avoir servi en tant qu’officier, et pour avoir été remar­qué soit par Tibère, soit par l’un des proches de l’empereur (pp. 60–61). L’auteur met en valeur le fait que Pilate est resté à son poste entre 26 et 36, plus long­temps que ses pré­dé­ces­seurs, ce qui laisse pen­ser que Tibère était satis­fait de sa façon de gou­ver­ner la région.
Les témoi­gnages his­to­riques sur les rap­ports de Pilate avec les notables juifs, cités et inter­pré­tés par Schia­vone, révèlent, d’une part, la dif­fi­culté qu’avait le fonc­tion­naire romain à com­prendre leur reli­gion et leur logique, et d’autre part, le besoin constant d’agir avec diplo­ma­tie, pour évi­ter au pos­sible les conflits (en d’autres termes, pour main­te­nir la paix en Judée).

Parmi les situa­tions pro­blé­ma­tiques rap­por­tées par les sources, la néces­sité de juger Jésus est la pire (inévi­ta­ble­ment, serait-on tenté de dire) pour Pilate, car elle le confronte à des réac­tions inat­ten­dues, dif­fi­ciles à com­prendre, de la part de l’accusé comme des accu­sa­teurs (le grand prêtre Caïphe et d’autres notables).
En recons­ti­tuant “l’enquête“ et le juge­ment, Schia­vone relève, dans les Evan­giles, plu­sieurs pas­sages invrai­sem­blables, dont celui du fameux lave­ment des mains. Non, Pilate n’aurait jamais su accom­plir ce geste, s’agissant d’un rite pro­pre­ment juif, dont il devait igno­rer jusqu’à l’existence (p. 151). L’auteur insiste là-dessus très fer­me­ment, et il a peut-être rai­son, mais d’un autre point de vue, pour­quoi ne pas inter­pré­ter cette scène de l’Evangile selon Mat­thieu comme une allé­go­rie de ce qui se pas­sait dans l’esprit de Pilate ? C’est le seul reproche qu’on est tenté d’adresser à Schiavone.

Pour ce qui concerne la suite du texte, on trouve très inté­res­sante et plau­sible la façon dont l’historien résout le pro­blème des inco­hé­rences dans un pas­sage de l’Evangile selon Jean (Jn 19, 12-16a).
L’énigme en ques­tion pour­rait dif­fi­ci­le­ment trou­ver une expli­ca­tion plus satis­fai­sante. S’agissant d’une thèse bien plus impor­tante que la “décou­verte“ au sujet des mains, nous nous abs­tien­drons de la citer, afin de lais­ser aux lec­teurs le plai­sir d’y arri­ver étape par étape.

agathe de lastyns

Aldo Schia­vone, Ponce Pilate. Une énigme entre his­toire et mémoire, tra­duit de l’italien par Mari­lène Raiola, Fayard, Plu­riel, août 2020, 256 p. – 8,00 €.

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