Les beaux circuits de l’argent du terrorisme…
Avec Thomas, le romancier retient un journaliste débutant qui se trouve propulsé dans sa première grosse affaire, une enquête d’investigation sur le financement d’une organisation terroriste ne reculant devant aucun meurtre. Il évoque les hésitations, les craintes, les doutes, les interrogations face à cette situation nouvelle pour lui, d’autant qu’elle est périlleuse.
Est-il à la hauteur de la confiance qu’on place en lui ? Est-il capable de mener à bien ce reportage qui lui ouvrira un avenir professionnel prometteur ?
Thomas Rabu arrive au journal dans un Paris caniculaire. Sur son bureau, un courrier avec un timbre turc, le sonne tellement qu’il doit trouver refuge dans un café climatisé. C’est une lettre de Sofiane Tir, d’origine kabyle, polytechnicien, parti rejoindre Daech en Syrie, il y a trois ans. Il en est devenu le banquier.
Se sentant en danger, il veut informer le monde de qu’il a fait. Il a choisi Thomas parce qu’il est un jeune journaliste intègre et qu’il connaît la finance. Il lui demande de trouver Nourad Gacem, à Londres. Il termine par : “Ainsi j’ai choisi de vivre. Ainsi je choisis ma mort.”
Thomas pense d’abord à un canular, mais des recherches confirment l’existence de cet homme et son parcours. Il en réfère à Anne Jacob, sa rédactrice en chef qui, après quelques hésitations lui donne le feu vert pour enquêter et partir à Londres. Mais avant, elle l’oriente vers une des stars du journalisme d’investigation pour quelques conseils forts utiles pour mener sa véritable première enquête.
À Londres, Nourad Gacem, qui travaille à la Française de banque comme trader, ne se laisse pas approcher facilement. Usant de diplomatie, Thomas réussit à l’interviewer. Avec quelques éléments donnés par Nourad, il part pour Beyrouth, rencontrer un second contact, au cœur du carrefour avec Daech, un lieu de tous les dangers…
Sur les pas de son anti-héros, Pascal Canfin détaille les grandes manipulations financières, boursières, que peut mener un trader, la façon dont il peut s’organiser pour, en quelques heures, amasser une fortune ou risquer une perte colossale. Il détaille, dans son intrigue, les circuits possibles de financement, les périples que peut emprunter l’argent, les différents étages entre des sociétés écrans sises dans divers pays. C’est passionnant, effrayant, révoltant.
Une histoire sentimentale pimente l’action et renforce la tension.
Pour se donner du courage, du tonus, se calmer, son héros se remémore nombre de références musicales, citant de très nombreux morceaux, des groupes et interprètes, allant jusqu’à donner un tempo en énumérant les notes.
L’auteur propose, en guise de respiration, pour calmer la tension du récit, des paragraphes au ton plus léger, presque badin, mais très humoristique, des réflexions truculentes, subtiles et originales sur les attitudes des individus, sur des situations. Ainsi, son héros : “…je regardais ma montre. Elle me renvoya qu’un jour, quelque part, une convention avait établi qu’il était 5 heures du matin à Paris.” Ou “J’aurais dû enregistrer les compliments qui ont suivi pour les passer en boucle dans les moments de blues ou lors de la prochaine demande d’augmentation salariale.” Toutefois, il fait faire par Mourad une remarque peu amène pour plus de la moitié de l’humanité : “L’argent, c’est comme les femmes. La réalité est toujours décevante. Mais le désir est plus fort. Et toujours tu recommences.”
Avec Le banquier de Daech, Pascal Canfin présente un roman séduisant avec un héros attachant, une façon didactique de présenter des pratiques financières et boursières, une intrigue extrêmement efficace.
Le tout est servi par une écriture précise et un style élégant.
serge perraud
Pascal Canfin, Le banquier de Daech, l’aube, coll. “Noire”, septembre 2020, 216 p. – 17,90 €.