Celle qui déplace les lignes et le regard : entretien avec Hélène Michel (Fabularium )

Rete­nant les semences que son intel­li­gence lui donnent et celles que l’émotion pro­voquent, au-delà de recherches très pous­sées, Hélène Michel a donné à ses explo­ra­tions un “extrême” dans l’univers des formes et leur pré­hen­sion. Elle est deve­nue artiste non dans le but d’esthétiser le pay­sage mais afin d’offrir la pos­si­bi­lité à tous de le racon­ter in situ en y insé­rant des formes de poé­sie brute ou éla­bo­rée.
Elle aide un regard neuf à s’accomplir au-delà des visions habi­tuelles. Son Fabu­la­rium devient en consé­quence l’occasion de récrire une “terre habi­tée” (Paul Ardenne) . Il per­met à un flux lit­té­raire de cou­ler libre­ment. Les sen­sa­tions et médi­ta­tions peuvent se dire grâce à son “objet” tran­si­tif et tran­si­tion­nel. La “machine” se trans­forme en une entre­met­teuse, une pas­seuse d’affect là où le regar­deur devient témoin actif, figure impli­quée dans un “action­nisme” où l’artiste s’efface. Elle laisse place libre à celle ou celui qui se méta­mor­phose en  actant au sein d’une expé­rience esthé­tique et d’existence.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le soleil.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils ont grandi.

A quoi avez-vous renoncé ?
A renoncer.

D’où venez-vous ?
Du Sud, au bord de la mer, dans une zone indus­trielle ambiance « Marius et Jean­nette » où l’on s’émerveille des lumières des usines la nuit.

Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
De l’amour.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Le goût du sel sur la peau en sor­tant de la mer.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Ma facette aca­dé­mique. Je suis une cher­cheuse repentie.

Com­ment vous est venue l’idée du Fabu­la­rium ?
Pour étu­dier les repré­sen­ta­tions du ter­ri­toire, je vou­lais uti­li­ser une autre méthode que des entre­tiens ou des ques­tion­naires. Il me fal­lait cap­ter des signaux sen­sibles. Pour cela, je vou­lais un labo­ra­toire gran­deur nature, qui pro­vo­que­rait l’intérêt, voire le désir, des passants/participants/auteurs. Je suis construc­ti­viste : quitte à ce que le cher­cheur ne soit pas neutre, autant qu’il l’assume voire en joue !
Dans mon cas, cela a pris la forme d’un bureau éton­nant, mobile, pou­vant être déplacé à dos d’homme ou de femme vaillante, tels les col­por­teurs des Alpes. C’est un décli­nai­son d’une ini­tia­tive conduite dans le Grand Canyon par une ran­ger il y a quelques années mais qui était res­tée « sta­tique ». Il s’agit ici de créer le mouvement.

Le Fabu­la­rium est dis­posé dans des endroits où il devient tota­le­ment incon­gru : au som­met d’une mon­tagne, sur un pon­ton au milieu des bateaux ou dans une bulle du télé­phé­rique de la ville de Gre­noble. Une machine à écrire per­met alors à celui qui le sou­haite de taper une décla­ra­tion au pay­sage. Lettres d’amour, de rup­ture ou de regrets. Ceci fait écho à la démarche artis­tique de Sophie Calle dans « Pre­nez soin de vous » où elle fait ana­ly­ser la lettre de rup­ture qu’elle a reçu par 107 femmes.
Cela cor­res­pond aussi à une méthode de col­lecte de don­nées uti­li­sée par exemple pour la lutte contre l’obsolescence pro­gram­mée où l’on va faire rédi­ger des lettres de rup­ture à nos télé­phones pour jus­ti­fier le fait de pas­ser à un autre. Au fur et à mesure, lettre après lettre, le Fabu­la­rium a évo­lué pour s’émanciper de la seule sphère scien­ti­fique pour muer en un dis­po­si­tif poétique.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Aucun sou­ve­nir précis.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Crin Blanc”. L’histoire d’un jeune gar­çon se liant avec un che­val sau­vage en Camargue. Vivant à côté, j’ai tou­jours rêvé de ce che­val blanc et de cette his­toire de liberté.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Tout ce qui passe, de façon très aléa­toire. Avec un pêché mignon pour la gaieté et naï­veté des années 80.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Je ne relis pas les livres.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Sau­vez Willy”, en voyant ma fille pleurer.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ce que je veux devenir.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
En 1986, j’ai écrit à Ber­nard Pivot pour une ques­tion sur une dic­tée à l’école. J’attends sa réponse depuis…

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Notre ferme familiale.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
L’indépendance et la vie dans les bois de Tho­reau, la pre­mière gor­gée de bière de Delerm, les apho­rismes de Syl­vain Tes­son, l’approche inti­miste de Sophie Calle. Tout ce qui peut mettre du mer­veilleux dans le quotidien.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
De l’amour, du temps, des montagnes.

Que défendez-vous ?
Le mer­veilleux dans le quo­ti­dien, l’esprit du jeu, ce cercle magique qui nous per­met de vivre sans trop nous prendre au sérieux. Pas­ser la nuit à la belle étoile, dres­ser nappe blanche pour un pique-nique, bivoua­quer dans le salon,

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Rien.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
« Oui ? »

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Celle-ci !

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 9 sep­tembre 2020.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Chapeau bas

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>