Les maisons de Sarah Hildebrand
Dans son livre intime, paradoxalement, Sarah Hildebrand ne prend pas l’initiative d’authentiques confidences. Elle ne camoufle rien mais son projet est à l’opposé d’un dégrafage voyeuriste de soi. Il n’en demeure pas moins que l’artiste n’a cessé de s’exposer dans la multiplicité de ses facettes. En surgit un être sensible, drôle qui sait toujours oser.
On le sait depuis longtemps du côté de la littérature : il ne faut jamais chercher le secret, la vérité d’un auteur dans ses journaux intimes. Et Gide nous a appris combien le secret d’un écrivain est beaucoup plus évident et lumineux dans ses fictions que dans ses écrits dits intimes où le surmoi n’a cesse de chantourner la vérité pour en préserver le secret. C’est pourquoi, plus que le « cas » de Sarah Hildebrand lui-même, un spéculaire particulier devient l’enjeu d’un tel travail.
Contre l’épargne des images et la manière religieuse dont nous les consommons, celle qui n’écrit que dans les cafés trouve une submersion, un moyen radical et brut de décoffrage de faire de l’œuvre non une fin mais un état des lieux. L’artiste revendique, non “par la bande” mais de manière ouverte, la dépense, le gaspillage du temps, le déchiffrement du monde. Elle oriente notre manière de voir, nos façons de vouloir transgresser des secrets (qui ne sont pas les bons) et capte nos propres réactions par rapport à nos illusions « d’optique ».
En retour, ce qu’elle reçoit lui permet de comprendre de quoi est fait sa propre image, sa propre identité. On est donc loin de bien des manières de voir et de montrer. Et nous pouvons percevoir l’ampleur anthropologique d’un travail où le lieu est dé-spatialisé afin d’accéder au statut d’une expérience, sinon d’un événement psychique. Les lieux hantés par Sarah Hildebrand acquièrent la troublante souveraineté, l’efficacité d’un lieu de mémoire — même si ce n’est pas la sienne, même si ce n’est pas la nôtre – du moins a priori.
Tout compte fait, au sein du secret ou de ce qu’on prend comme tel, l’artiste produit une œuvre au statut particulier dans ses frottements temporels et géographiques. Ayant à parler du motif autobiographique, Sarah Hildebrand refuse simplement de parler d’elle à l’inverse de tant de créateurs qui se complaisent à le faire.
Sans connaître l’issue de son histoire et de ses histoires, elle trouve comme recours l’évocation et la pénétration de lieux inconnus. Ils deviennent sa demeure chaque fois réinventée – sans nostalgie, ni goût de l’archaïsme ou de l’archétype. Moyennant quoi, elle enchâsse sa propre histoire dans la recherche de la généalogie du secret, interrogation que tout artiste se pose. Et cette relation à l’énigme se constitue en espace de tension entre « autoportrait » et indices de l’inconnu. De la sorte, elle pose aussi la question de savoir qui elle est, qui est le sujet du sujet.
jean-paul gavard-perret
Sarah Hildebrand, Chez soi, textes et dessins, 96 pages, coll. « Re : Pacific », éditions art&fiction, Lausanne, 2013, 96 p.