Rafael Sanchez Saus, Les chrétiens dans al-Andalus. De la soumission à l’anéantissement

La réa­lité d’Al-Andalus

L’URSS et ses thu­ri­fé­raires uti­li­saient le mythe de Sta­kha­nov pour louer les prouesses du com­mu­nisme. Le régime diver­si­taire, comme le nomme Mathieu Bock-Côté, use quant à lui de celui d’al Anda­lus, cette Espagne musul­mane pré­sen­tée comme la concré­ti­sa­tion des idéaux de tolé­rance et du vivre-ensemble entre dif­fé­rentes reli­gions. Un ins­tru­ment très effi­cace aussi pour déva­lo­ri­ser l’Espagne catho­lique qui suc­céda à ce pré­tendu âge d’or.
On lira donc avec inté­rêt la rigou­reuse et his­to­ri­que­ment incor­recte étude de Rafael San­chez Saus, pro­fes­seur d’histoire médié­vale à l’université de Cadiz, sur la ter­rible réa­lité de la condi­tion des chré­tiens dans al-Andalus qu’il sous-titre « De la sou­mis­sion à l’anéantissement ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Le livre s’étend sur toute la période médié­vale, depuis la conquête par des armées arabo-berbères de l’Espagne wisi­go­thique en pleine décom­po­si­tion jusqu’aux vic­toires de la Recon­quista du XIII siècle. Mais il est cen­tré autour de la réa­lité de la dhimma, cette pres­crip­tion juri­dique car cora­nique, expé­ri­men­tée dans le cali­fat omeyyade de Syrie avant d’être appli­quée cres­cendo dans la pénin­sule ibé­rique.
Il s’agit, explique l’auteur, d’un « pacte de sau­ve­garde éta­bli par les vain­queurs qui garan­tit aux vain­cus cer­taines liber­tés, cer­tains droits et cer­tains devoirs en échange de l’acceptation de la supré­ma­tie poli­tique, éco­no­mique et morale des vain­queurs ». Et l’historien de faire la lita­nie des mesures dis­cri­mi­na­toires qui feraient hur­ler au scan­dale n’importe quel pro­gres­siste si elles étaient usi­tées de nos jours : inter­dic­tion de construire des églises, d’élever des croix, de faire des pro­ces­sions, de son­ner les cloches, obli­ga­tion de por­ter des vête­ments dis­tinc­tifs et sur­tout pres­sion fis­cale très lourde.

Le but de ces mesures ? C’est un juris­con­sulte musul­man qui l’explicite : « Il est néces­saire que les dhim­mis fassent l’expérience dans leur propre chair de cette marque dégra­dante car c’est peut-être de cette manière qu’ils fini­ront par croire en Allah et en son Pro­phète et qu’ils pour­ront échap­per à ce joug igno­mi­nieux. » (p.186–187) Et effec­ti­ve­ment, la seule solu­tion pour des­ser­rer l’étau de cette humi­lia­tion et de cette oppres­sion rési­dait dans la conver­sion.
Si l’on ajoute à cela l’arabisation par les mariages for­cés ou la géné­ra­li­sa­tion de la langue arabe, et l’orientalisation des mœurs et des modes de vie, mais aussi les graves com­pro­mis­sions des évêques col­la­bo­rant avec le pou­voir cali­fal, on com­prend l’affaiblissement pro­gres­sif mais irré­mé­diable de la com­mu­nauté moza­rabe pri­vée d’élite, et dont une par­tie choi­sit de fuir ce « para­dis de tolé­rance » comme d’autres ten­taient de fuir le para­dis prolétaire…

L’ouvrage Rafael San­chez Saus ne décrit en aucune façon un monde de dia­logue tolé­rant mais un sys­tème d’oppression où la moindre cri­tique contre la reli­gion des conqué­rants valait la peine de mort. Il y eut donc des rébel­lions et sur­tout des mar­tyrs qui refu­sèrent de plier, met­tant en évi­dence les limites du dia­logue inter­re­li­gieux. Mais rien n’y fit.
Sans par­ler du vaste mou­ve­ment de dépor­ta­tion des com­mu­nau­tés moza­rabes en Afrique du nord, « la séduc­tion exer­cée par l’arabe, sa culture » pous­saient des chré­tiens à se cher­cher des ori­gines arabes. Majo­ri­taires au Xème siècle, les Moza­rabes ne repré­sen­taient plus que 20% de la popu­la­tion espa­gnole à la fin du XIème siècle.

fre­de­ric le moal

Rafael San­chez Saus, Les chré­tiens dans al-Andalus. De la sou­mis­sion à l’anéantissement, Le Rocher Poche, août 2020, 467 p. — 9,90€.

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