Hervé Jourdain, Terminal 4

Quand les enjeux sont énormes…

Le décor de Roissy, le chan­tier du futur Ter­mi­nal 4 en voie de réa­li­sa­tion pour l’extension de l’aéroport, est riche en pos­si­bi­li­tés d’intrigues car c’est un véri­table monde où gra­vite une mul­ti­tude d’individus, où se réa­lisent tant d’activités plus ou moins légales.
Entre les tra­fics des voya­geurs, la guerre entre taxis offi­ciels et taxis clan­des­tins, les dif­fé­rentes caté­go­ries qui tra­vaillent sur les sites, les zadistes, les pos­si­bi­li­tés de délits, voire de crimes, sont nom­breuses.
Suite à la désas­treuse mis­sion de Lola et Zoé qu’Hervé Jour­dain a raconté dans Tu tai­ras tous les secrets (Fleuve noir — 2018), le groupe a été muté au sein de la sec­tion anti­ter­ro­riste. Mais, elles s’ennuient et quand une belle affaire de crime se pré­sente, elles font tout pour mener l’enquête. Cepen­dant, elles la mènent à leur façon, de manière presque incon­trô­lable pour leur hié­rar­chie. Le roman­cier, avec un tel couple pos­sède éga­le­ment une belle réserve de péri­pé­ties et de coups de théâtre.

Sur la zone aéro­por­tuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle, les pom­piers de Paris arrêtent l’incendie d’une dizaine de voi­tures. À l’intérieur de l’une d’elles, ils découvrent un cadavre à-demi cal­ciné.
Au Bas­tion, le patron de la Crim’ charge la capi­taine Lola Rivière et la bri­ga­dière Zoé Dechaume de se rendre au ser­vice des douanes. Un homme, por­teur d’une ving­taine de pièces d’or à l’effigie de l’État isla­mique, a été inter­pellé. Les deux poli­cières prennent en charge le tra­fi­quant qui crie son inno­cence. Zoé remarque un groupe de poli­ciers très inté­ressé par des pho­tos. Ce sont celles de l’incendie et du cadavre. Elle décide de se rendre sur place bien que cela ne relève ni de son res­sort ni de sa ter­ri­to­ria­lité. En exa­mi­nant ce qui reste du corps elle trouve une carte ban­caire en par­tie consu­mée. La titu­laire est vite iden­ti­fiée, il s’agit d’une cana­dienne qui a fait un voyage en Europe. Or celle-ci, bien vivante, est ren­trée dans son pays.

Malgré les semonces de leur hié­rar­chie, les deux poli­cières délaissent l’or de Daech pour s’investir dans cette enquête qu’elles ont réussi à se faire confier. Si elles peuvent iden­ti­fier la vic­time, une jeune femme qui tra­vaillait comme Data scien­tist à France Aéro­ports avant d’être affec­tée comme assis­tante de la Direc­trice, la mul­ti­tude des pos­sibles, des sus­pects, des pistes rend leur enquête ardue, d’autant qu’elles doivent faire face à de nom­breuses entraves…

Et l’auteur mul­ti­plie les pistes, les bonnes comme les mau­vaises, détaille les par­cours plus ou moins hasar­deux de ses enquê­trices, leurs recherches, leurs espoirs, leurs décep­tions, les ouver­tures qui leur sont offertes, comme les blo­cages pour rai­sons juri­diques, admi­nis­tra­tives. Il donne nombre de pré­ci­sions sur les pro­cé­dures, même s’il ne les détaille pas com­plè­te­ment, sur les docu­ments à pro­duire par les poli­ciers en fonc­tion des requêtes néces­saires aux recherches.
Leur des­crip­tion suf­fit à se rendre compte de la com­plexité admi­nis­tra­tive dans laquelle se débattent ces poli­ciers, rédui­sant leurs capa­ci­tés d’investigations. On sai­sit mieux com­ment nombre de condam­na­tions ne peuvent être pro­non­cées pour vice de forme, pour pro­cé­dures non res­pec­tées. Cela fait le bon­heur de cabi­nets d’avocats aux clients assez riches pour s’offrir ainsi leurs ser­vices pen­dant des années.

Tout en don­nant une intrigue ten­due, aux mul­tiples péri­pé­ties, l’auteur raconte la situa­tion des habi­tants de ces ban­lieues sous le joug conti­nuel des déci­bels, le bal­let des taxis, l’activité des spot­ter, ces fans qui pho­to­gra­phies les avions. Il livre nombre d’indications sur le tra­fic aérien, sur son impor­tance, sur sa pol­lu­tion, sur les nui­sances de toutes natures qu’un tra­fic démen­tiel engendre. Il cite, un record, le chiffre ahu­ris­sant de plus de 202 000 avions dans le ciel en une jour­née dans le monde. Il ins­talle, en bonne place, les consé­quences d’une taxa­tion nor­male du kéro­sène sur la ren­ta­bi­lité de ce mode de trans­port.
Mais il met aussi l’accent sur le tra­vail des poli­cières et poli­ciers, les dif­fi­cul­tés phy­siques, psy­chiques, l’incidence de leur métier sur leur vie privée.

Avec Ter­mi­nal 4, Hervé Jour­dain offre un roman d’une richesse peu com­mune en situa­tions, infor­ma­tions, dévoi­lant lar­ge­ment toutes les inter­con­nexions plus ou moins légales, le tout sans frei­ner l’avancée d’un intrigue retorse en diable, menée avec une maî­trise remar­quable jusqu’à un final ébouriffant.

serge per­raud

Hervé Jour­dain, Ter­mi­nal 4, fleuve noir, coll. “Roman poli­cier & thril­ler”, août 2020, 320 p. — 19,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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