Graeme Macrae Burnet, L’accident de l’A35

Quand l’ordinaire est passionnant !

En intro­duc­tion, Greame Macrae Bur­net raconte le par­cours de deux manus­crits signés par Ray­mond Bru­net, dont celui du pré­sent roman. Bru­net n’a été l’auteur que d’un seul livre : La dis­pa­ri­tion d’Adèle Bedeau. Mais, avant son sui­cide, en 1992, le roman­cier avait chargé un cabi­net de notaires de Mul­house, de ne faire publier ces deux manus­crits qu’après la mort de sa mère.
Or, celle-ci s’étant éteinte le 18 novembre 2014, le colis arriva quarante-huit heures plus tard chez l’éditeur qui avait faire paraître son unique roman. Le nou­vel édi­teur, pen­sant à un canu­lar, a mené une enquête mais les deux textes sont, sans conteste, l’œuvre de Ray­mond Bru­net. Vous aurez donc, entre les mains, le pre­mier livre post­hume de ce roman­cier fameux.

L’acci­dent de l’A35
est pré­senté par Graeme Macrae Bur­net, un roman­cier écos­sais pro­met­teur. Mais, les ama­teurs d’anagrammes auront vite fait le lien entre les deux écri­vains.
Après son enquête sur La dis­pa­ri­tion d’Adèle Bedeau (Domaine poli­cier n° 5462), Georges Gorski, l’inspecteur de la police de Saint-Louis, reprend du ser­vice. Il se tient sur le bas-côté de l’autoroute venant de Stras­bourg. Une Mer­cedes s’est écra­sée contre un arbre, tuant le conduc­teur. Georges a récu­péré le por­te­feuille et estime qu’il est de son devoir de pré­ve­nir les proches de Ber­trand Bar­thelme, notaire domi­ci­lié à Saint-Louis.

L’épouse est plus jeune qu’il ne l’imaginait. Il informe éga­le­ment Ray­mond, le fils de dix-sept ans. Tou­te­fois, ni l’un ni l’autre ne montrent un réel cha­grin. Il est intri­gué par une réflexion de la veuve qui s’étonne du lieu de l’accident car son mari, chaque mardi soir, dîne avec ceux de son club dans le meilleur res­tau­rant de Saint-Louis.
Ray­mond fré­quente essen­tiel­le­ment Yvette, une amie d’enfance et Sté­phane un copain de lycée. S’il flirte un peu avec Yvette, les jeux éro­tiques ne se concré­tisent pas.

C’est en fouillant dans le bureau de son père que Ray­mond, en décou­vrant un petit papier com­por­tant une adresse écrite par une main fémi­nine, va enquê­ter sur son géni­teur. Le fait que le notaire ait menti amène Gorsky à aller plus loin.
L’associé de Bar­thelme est sur la défen­sive, un patron d’usine de ciment révèle que le notaire était impli­qué dans des affaires illi­cites. C’est par le jour­nal que l’inspecteur découvre le meurtre d’une femme à Stras­bourg. Il n’y a eu ni effrac­tion ni vol. Elle était répu­tée rece­voir sou­vent des hommes chez elle. Gorsky fait un rap­pro­che­ment avec le retour de Bar­thelme et contacte son col­lègue stras­bour­geois en charge d’une enquête qui pié­tine singulièrement.

Le choix du décor est déjà, en soi, une par­tie de l’intrigue. Rete­nir Saint-Louis, une bour­gade pai­sible sise à une ving­taine de kilo­mètres de Mul­house donne le ton et l’atmosphère du roman. Ce récit est celui de gens sans his­toires mais pas sans pen­chants, des per­son­nages falots qui tra­versent une exis­tence faite de petits gestes quo­ti­diens, de ce qui anime et consti­tue la vie de la plu­part d’entre nous.
Deux per­son­nages portent l’histoire. L’inspecteur Georges Gorsky, un poli­cier qui n’a pas su s’imposer dans le com­mis­sa­riat, est entraîné par l’attrait pour une jeune veuve dans une enquête qui n’a pas lieu d’être. Paral­lè­le­ment à son mal-être pro­fes­sion­nel, il vit une dif­fi­cile rup­ture matri­mo­niale que son addic­tion à l’alcool n’aide pas à résoudre.

Si la jeune veuve occupe une place cen­trale puisqu’elle est le fait déclen­cheur, elle cède vite la place à Ray­mond, son fils. Celui-ci, à par­tir d’un petit mor­ceau de papier où une écri­ture fémi­nine a cou­ché une adresse à Mul­house, va enquê­ter pour com­prendre pour­quoi son père gar­dait cette adresse dans un tiroir de son bureau.
L’auteur dis­sèque ainsi des vies qua­li­fiées d’ordinaire, étu­die leur évo­lu­tion, leur lent che­mi­ne­ment en fonc­tion des décou­vertes que les per­son­nages sont ame­nés à faire, révé­lant peu à peu les failles de leur exis­tence, les secrets si bien cachés qu’on a plai­sir à prê­ter à ceux qui habitent ces pro­vinces recu­lées, les ter­ri­toires. Il évoque la soli­tude de cha­cun étouffé par une morne exis­tence.
Autour de ces pro­ta­go­nistes prin­ci­paux, le roman­cier étoffe sa gale­rie avec une suite de per­son­nages tru­cu­lents pour peu qu’on s’attarde à les suivre, à cher­cher à les comprendre.

Mais, avec ce décor peu riant, ces per­son­nages ordi­naires, le roman­cier pro­pose un récit pas­sion­nant, où l’intérêt ne se démet pas, d’une belle com­po­si­tion, sou­tenu par une écri­ture limpide

serge per­raud

Graeme Macrae Bur­net, L’accident de l’A35 ( The Acci­dent on the A35), nou­velle édi­tion éta­blie par Graeme Macrae Bur­net & Julie Sibony, tra­duit de l’anglais par Julie Sibony, Édi­tions 10/18, coll. “Domaine poli­cier” n° 5565, août 2020, 336 p. — 8,10 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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