C’est une photographie prise en 1898 par Eugène Atget, longtemps affichée dans l’atelier d’Éric Stalner, qui a servi de déclencheur au scénario. Cette photographie, qui ouvre l’album d’ailleurs, montre une petite chanteuse des rues au large sourire et au regard pétillant. Les scénaristes ont décidé de raconter son histoire, une histoire de pure fiction car cette gamine restera à jamais une inconnue.
Une petite fille, accompagnée à l’orgue de barbarie par un vieil homme, chante dans la rue. Un public nombreux se presse. Un habile pickpocket s’empare de montres, portefeuilles… jusqu’à ce qu’une dame donne l’alerte. Le voleur s’enfuit, poursuivi par un jeune homme. La chanteuse et le musicien se lamentent, elle a trop faim. Un homme organise une quête pour leur venir en aide.
La comédie est bien rodée et tous les acteurs se retrouvent dans une roulotte, dans la Zone. Outre Eugénie, la petite fille, le reste de la bande se compose d’Arthur, son grand-père, de Tibor, un ancien dompteur de fauves, de Lucien, le voleur, et de Benjamin, son frère, celui qui le poursuit. Le partage se fait comme d’habitude, les billets sont gardés pour L’Oiseau rare. Le reste…
Ils multiplient les arnaques, dérobant le contenu d’un fiacre, faisant chanter des maris volages… Ils prennent de plus en plus de risques, ceux-ci les menant à la limite de l’arrestation. L’Oiseau rare était un théâtre parti totalement en fumée, faisant nombre de victimes, dont les parents d’Eugénie. Ils veulent le reconstruire et la petite fille, grande admiratrice de Sarah Bernhardt, se rêve en tragédienne…
Avec ce diptyque, les auteurs veulent mettre en lumière les Invisibles, les Gens de peu, selon le titre du livre de Pierre Sansot, anthropologue, philosophe et sociologue. Si les travaux du baron Haussmann ont eu un côté bénéfique pour certains, ils ont aussi amené à rejeter hors de Paris toute une population ouvrière qui n’a eu d’autres possibilités que s’installer dans des constructions précaires sur le glacis de la ceinture extérieure, au-delà des fortifications érigées par Adolphe Thiers entre 1841 et 1844. Ils veulent raconter leur volonté de vivre, de s’en sortir.
Autour de la petite héroïne au caractère affirmé, qui veut réaliser son rêve, les scénaristes installent une galerie de personnages hauts en couleurs, soignant les seconds rôles et les personnages d’arrière-plan. Ils détaillent les filouteries auxquelles se livre ce petit groupe, intégrant nombre de scènes d’une vie quotidienne difficile, précaire.
Sarah Bernhardt, que la jeune héroïne rêve de rencontrer est présentée sous un angle peu sympathique, plutôt celui d’une mégère imbue de sa personnalité.
Le dessin d’Éric Stalner est toujours aussi efficace, toujours aussi précis et dynamique, aussi agréable à l’œil. On se plaît à détailler les vignettes, s’imprégner de l’atmosphère qu’il sait faire ressortir de ses planches. Sa maîtrise de la mise en page se retrouve pour une lecture très agréable.
Un cahier pédagogique clôture un premier tome de toute beauté. Outre les informations fort détaillées sur ce qui sera appelé la Zone, au-delà des Fortifs, deux pages présentent Eugène Atget, ce photographe du quotidien parisien et Sarah Bernhardt.
Ce premier volet du diptyque se révèle addictif et d’une belle réalisation. La suite ne peut être attendue qu’avec impatience pour connaître le destin d’Eugénie, dont le prénom est un clin d’œil à celui du photographe.
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lire la critique du tome 2 : La grande Sarah
serge perraud
Éric Stalner (scénario et dessin), Cédric Simon (scénario) & Florence Fantini (couleurs), L’Oiseau rare : t.01 : Eugénie, Bamboo, coll. “Grand Angle”, août 2020, 64 p. – 14,90 €.