La forêt générera-t-elle toujours la peur ?
Fanny, au grand dam de ses parents, est une adepte de l’usage intensif du smartphone. Elle a un compte sur Instagram qui reçoit de nombreux likes depuis qu’elle a posté une photo d’elle dans un joli maillot de bain rouge. Son attention est attirée par une vidéo racoleuse qui présente le concept d’une sorte d’escape game: Ne reviens pas !
Il s’agit de rester le plus longtemps possible dans une forêt à la mauvaise réputation. Le vainqueur recevra dix mille euros et la possibilité de publier, en exclusivité, le film qu’il aura réalisé pendant le jeu.
Fanny est sélectionnée avec neuf autres candidats. Début juillet, après son bac, elle est emmenée sur les lieux. Le motard qui la dépose lui donne un pistolet de détresse avec une seule fusée. Elle tire si elle veut abandonner. Il lui indique que neuf kits de survie ont été dissimulés et que tous les moyens légaux peuvent être utilisés pour pousser les autres à arrêter.
Après avoir déambulé un peu au hasard, elle remarque un tas de pierres non recouvert par la végétation. Alors qu’elle commence à enlever des cailloux, elle entend un sifflement et perçoit un mouvement. Elle éclaire avec son smartphone et voit un serpent sur le kit. Elle a une peur bleue des serpents.
En possession de son kit, elle l’ouvre mais n’a pas le temps de voir ce qu’il contient car elle a la tête prise dans un sac et sent qu’on lui enlève ses chaussures, ses chaussettes…
La peur est omniprésente dans la vie de l’être humain, même dans notre société où règne une certaine sécurité. Mais la peur est un terme générique qui se compose de plusieurs degrés et de différentes manières de la ressentir, de la vivre. En prenant la forêt comme cadre de son récit, Philip Le Roy installe un décor propice à nombre de peurs, voire de terreurs, ce lieu ayant généré tant d’histoires horrifiques à juste titre, sans doute, à une certaine époque. Mais elle reste ainsi dans l’inconscient.
Toutefois, le véritable danger ne vient-il pas des concurrents eux-mêmes, de ceux pour qui la victoire justifie tous les moyens. On peut y lire une préfiguration du monde professionnel où les ambitieux sont prêts à toutes les lâchetés, les trahisons, les saloperies pour arriver.
Le romancier place son héroïne dans des situations délicates, lui donnant, cependant, des ressources pour faire face. Cet escape game permet de revenir sur l’adolescence et ses attentes, ses choix, ses révoltes et ses peurs. C’est une période de l’existence que Philip le Roy semble bien connaître. Aurait-il près de lui un modèle de son héroïne ?
Multipliant les péripéties, il pousse les concurrents à faire des choix, des choix pas toujours heureux, pas toujours des plus honnêtes. Mais il démontre, si besoin était, que l’union fait la force et qu’à plusieurs, il plus facile d’affronter l’adversité. Il brosse un panorama assez complet des grands caractères des individus, des égoïstes, des jusqu’au-boutistes, et des altruistes.
Avec un talent de conteur qui n’est plus à prouver, un sens de la narration remarquable, il livre un récit attractif, une belle intrigue rouée, riche en incidents, imprévus, surprises, coups de théâtre, passant d’un cadre à un autre jusqu’à une conclusion des plus surprenantes.
Emaillant son histoire de traits d’humour, donnant des images percutantes, décrivant des situations qui prêtent à rire malgré le climat dramatique qui règne, il signe des dialogues irrésistibles en mettant ses personnages en situations d’affrontement. Il fait nombre de références tant cinématographiques que littéraires, puisant dans la culture récente portée par les nouveaux moyens de communication.
Ce nouveau roman de Philip Le Roy, destiné d’abord à un public de jeunes adultes, se dévore avec un plaisir évident par des adultes… moins jeunes !
serge perraud
Philip Le Roy, 1, 2, 3, nous irons au bois, Rageot, juillet 2020, 416 p. – 15,90 €.