Par son imaginaire polysémique, Stéphane Gauthron fait bouger bien des lignes. Elles se transforment en vagues à mesure que “l’eau monte”. Y grouillent des ombres qui ne cessent d’évoquer une certaine violence du monde.
Toutefois perdure le nécessaire amour — dont Alice Miller a donné toute l’importance. Il innerve la poésie de l’auteur. Il casse l’indifférence par la sensibilité qui jaillit de mots césures entre le familier et l’étrange, le masculin et le féminin, le passé et ce qui peut advenir, bref entre l’amour et la haine, les modèles et les genres.
Exit le parfait silence : ses sangles ne sont plus de mise. Stéphane Gauthron décloue des aliénations au souffle de son écriture d’espérance. Et qu’importe si certains débuts sont restés lettres mortes. La vie est là : non seulement elle suit son cours, mais il faut en faire jaillir de nouvelles aventures et existences.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
En général une poulie, un bout solidement noué à un mousqueton, et quatre mains d’enfants. Souvent une envie forte de profiter du matin, de cette lumière-là. Quelquefois j’ai juste besoin de me rappeler qui je suis et ce que je fais là, il faut que je me lève.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils ne sont pas très loin. Je n’ai pas tué l’enfant que j’étais.
A quoi avez-vous renoncé ?
Au stoïcisme.
D’où venez-vous ?
Du sud de la Bourgogne et du nord du Portugal.
Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
Un poste de radio fabriqué en URSS qui me vient de mon grand-père, il est énorme, en bois, increvable et m’accompagne sous la poussière ou sous la pluie. Il me semble parfois entendre Laïka quand j’écoute France Culture…
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Il faut que je vous parle de ce vin : l’ Auxey-Duresses. Il est impossible d’en trouver du très bon car il part à l’export… mais mon oncle Julio a longtemps travaillé comme maçon pour des vignerons dans les environs de Beaune et il a, comme il sait faire, conservé un filon mystérieux de ce pinard divin. Mon oncle est très généreux et ce vin se marie à merveille avec du lomo, du chorizo espagnol ou du jambon cru. J’aime aussi la caresse sur la langue du vinho verde, un peu frais mais pas trop (ce vin se réchauffe vite en été, peut-être à cause des perles, peut-être que la forme de la bouteille est responsable… Il doit bien y avoir une raison ; pour sûr, il faut oublier d’être bavard… de plus s’il est artisanal, venant de vignes qui ombrent les patios, il ne fait pas mal à la tête car il n’est pas fort et ne contient pas de sulfites), avec un plat de bacalhau cuite au four. Derrière ça un café bien serré, à l’italienne, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Et une cigarette bio.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres poètes ?
J’avais envie de dire la coupe de cheveux, mais à y regarder bien, je n’en suis pas si sûr. Je ne sais pas.
Quelle importance les “traces” possèdent dans votre oeuvre ?
Bien sûr elles ont une importance fondamentale. Si on perçoit la trace on a tout perçu.
Si on ne la perçoit pas, pourquoi vouloir écrire de la poésie ?
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Sur le tard, John Cassavettes en train de réfléchir. Dans « Love Streams ».
Et votre première lecture ?
Le voyage. Sur le tard aussi.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Du rock brut, énervé et sensible.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Les Trois Brigands » de Tomi Ungerer
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Elina Lowensohn. J’ai bossé sur un film de Bertrand Mandico (“Notre-Dame des Hormones”) où elle était comédienne, et elle m’avait envoyé quelques films de Bertrand pour que je les voie : « Boro in the Box » et « Living Still Life ». Je n’ai jamais osé lui écrire pour la remercier. Comment écrire à Elina Lowensohn ?
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Sophie Roze, Pascal Thollet, Stéphanie Quérité, Sébastien Cirotteau, Gauthier David, Hilary Binder, Remi Vionnet, Yannis Frier, Pierre-Luc Grangeon, Lexa Walsh, Samaël Stirner, Nicolas Règlat, Audrey Ginestet, Amanda Robles, Chris Rankin.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un vinaigrier avec robinet, bonne contenance, en grès émaillé, bouchon en liège robinet en buis… J’ai déjà la mère pour le vinaigre, elle est venue toute seule dans un vieux vinaigre de vin rouge.
Que défendez-vous ?
Je me rend compte que je défends souvent la cause du plus faible, même s’il s’agit de bagarres entres mes filles.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Alice Miller est trop peu connue.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Pour moi ce sera caramel-beurre-salé, mais quelle était la question ?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
« C’est comment qu’on freine ? » Une question très utile avant de partir, pour s’arrêter.
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 13 août 2020.