Philippe Carrese, Tango à la romaine

Un pur bon­heur de lecture !

Zefi­rino Gian­lu­pino, trente-huit ans, est chif­fon­nier dans un bidon­ville du nord-est de Rome. Il est asservi depuis tou­jours aux dogmes mater­nels de Maria. Avec l’argent de l’assurance, après un acci­dent de sa mère, ils achètent un superbe tri­por­teur qu’un voi­sin un peu plus éru­dit bap­tise Poli­femo en rai­son de son unique phare.
Parce que c’est plus rému­né­ra­teur, ils traquent les ani­maux errants et s’engage, pour ce faire, sur la rive du Tibre. Près d’un pont, Zefi­rino trouve une belle sacoche pleine qu’il rap­porte à sa mère res­tée dans le tri­por­teur. Elle contient une bombe qui… explose.

Pie­trino Belo­nore est un jeune homme taci­turne, dis­cret, ne vou­lant faire montre du moindre sen­ti­ment. Mais là, il est bou­le­versé. Il a tout raté comme le lui reproche le chef du groupe Potere Rosso (Pou­voir rouge) dans l’église où il s’est réfu­gié. C’est en croi­sant le regard bleu d’une étu­diante qu’il a res­senti une forte émo­tion. Il s’est débar­rassé de la bombe qui devait tuer un diplo­mate amé­ri­cain et don­ner le signal d’une lutte sans merci contre l’impérialisme amé­ri­cain.
Zefi­rino est orphe­lin, sa mère s’étant vola­ti­li­sée dans l’explosion. Celle-ci a détruit le véhi­cule dont il ne reste que le phare. Un tract, taché de sang lui donne les assas­sins de sa mère. Il décide de la ven­ger…
Pie­trino est devenu un dan­ger pour les auteurs de l’attentat. Mais celui-ci veut retrou­ver la Madone qu’il a entre­vue, dont il est immé­dia­te­ment tombé amoureux…

Quatrième volet de la saga Belo­nore, ce roman se déroule à Rome en mai 1967. C’est une période déjà riche en évé­ne­ments mais qui pré­fi­gure de gros bou­le­ver­se­ments et les années de plomb de l’ère des Bri­gades rouges (Bri­gate Rosse). Cette orga­ni­sa­tion ter­ro­riste d’extrême-gauche verra le jour le 20 octobre 1970. Aldo Moro est au gou­ver­ne­ment et nombre de grou­pus­cules d’obédience com­mu­niste gre­nouillent, vou­lant assu­rer qui l’avènement du pou­voir du pro­lé­ta­riat, qui com­battre les Amé­ri­cains et leur trop forte pré­sence en Ita­lie.
C’est avec les péri­pé­ties autour de deux grou­pus­cules com­mu­nistes que le roman­cier arti­cule une intrigue sub­tile, fai­sant des pré­sen­ta­tions fort dif­fé­rentes tant dans leur idéo­lo­gie que dans leur type d’action. Il met en scène le peuple d’un bidon­ville et celui de la grande bour­geoi­sie, cha­cun vivant bien séparé.

Carrese struc­ture ainsi un récit riche en rebon­dis­se­ments de tous genres avec une gale­rie de pro­ta­go­nistes de la plus belle eau. Le terme peut par­fai­te­ment s’appliquer car il pro­pose quelques bijoux d’humanité, quelques joyaux remar­quables d’homo sapiens sapiens.
Mais il dresse aussi de magni­fiques por­traits de femmes comme la logeuse de Pie­trino ou la jeune dan­seuse de tango. Cette danse, si elle pré­sente dans le titre, donne le tempo du récit. Il en fait la des­crip­tion des pas, des figures et de la phi­lo­so­phie qu’elle véhi­cule, citant quelques maîtres com­po­si­teurs de ce genre musical.

Paral­lè­le­ment, l’auteur anime le par­cours assez glo­rieux du père de Pie­trino qui s’est enfui aux États-Unis et a changé d’identité, deve­nant un pho­to­graphe qui compte dans le pay­sage artis­tique. Si le com­mu­nisme s’installe en Ita­lie, la guerre du Viet­nam fait rage et influe, tant sur la poli­tique que sur les liber­tés. Il est des évé­ne­ments, des situa­tions qu’il ne faut pas mon­trer.
Outre les aspects his­to­riques mis en avant avec l’ambiance qu’ils génèrent, Phi­lippe Car­rese donne un ton inimi­table à son récit. Sa maî­trise de l’art du récit, son goût pour l’image tout à fait appro­priée à la situa­tion, au carac­tère ou aux faits décrits offrent un récit servi par un sens de l’humour peu com­mun. On se régale de ses réflexions, de sa verve, terme à prendre dans son sens le plus noble. Il bro­carde joyeu­se­ment un art de vivre, une admi­nis­tra­tion quelque peu défaillante et la gran­di­lo­quence de quelques per­sonnes ayant acquis cer­taines miettes de pouvoir.

L’auteur pro­pose un récit tor­ren­tueux, mélan­geant allè­gre­ment les genres, fai­sant côtoyer l’espionnage, le ter­ro­risme avec la comé­die.
C’est un régal, le remède idéal contre la moro­sité. Sa lec­ture est une médi­ca­tion à prendre sans modération.

serge per­raud

Phi­lippe Car­rese, Tango à la romaine, Édi­tions de l’aube, coll. “Mir­kos”, juillet 2020, 344 p. – 14,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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